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Notre regard

Restructuration de l’asile | La charrue avant les boeufs

Le 3 septembre dernier, le Conseil fédéral a publié un message ouvrant le chantier d’une restructuration du domaine de l’asile. Il s’agit là de la grande réforme de la procédure d’asile annoncée il y a trois ans par Madame Sommaruga. Les Chambres fédérales, Conseil des États en premier, vont commencer à examiner le projet dans ses détails à partir du printemps 2015. Une commission de parlementaires a déjà visité le centre «test» à Zurich, vitrine du projet. Quatre organismes d’évaluation différents devraient rendre leur premier rapport de suivi du test au mois de décembre. Il aurait été logique d’attendre la fin des tests et de leur évaluation pour présenter le projet de loi.

La restructuration de l’asile est présentée comme visant avant tout à accélérer les procédures. Pour l’administration de Mme Sommaruga, la solution miracle consisterait à concentrer les personnes demandant l’asile dans des centres fédéraux et d’y mener 60% des procédures jusqu’à leur terme avant qu’il soit question d’attribuer les requérants à un canton. Les étapes de cette procédure accélérée sont réglées selon une cadence express, certains délais de recours sont raccourcis et de nombreux requérants seront mis en centre de départ, en détention administrative ou renvoyés directement depuis le premier centre. Les autorités ne s’en cachent pas: elles comptent doubler les places de détention administrative à l’échelle de la Suisse.

L’enjeu principal de l’accélération des procédures consiste à pouvoir continuer à établir les faits correctement dans ces cas complexes que sont les demandes d’asile: déterminer les motifs de fuite, rassembler des moyens de preuve, éclaircir les traumatismes liés au parcours du requérant, etc. Il semble évident que si la procédure accélérée est réglée en 31 jours et celle liée à un cas Dublin en 10 jours, la qualité de l’instruction va fortement en souffrir. Prenons le seul exemple d’un traumatisme psychologique lié à des violences sexuelles: pour être correctement pris en compte dans la procédure, celui-ci nécessite que s’instaure une relation de confiance entre thérapeute et requérant d’asile et de nombreuses séances peuvent être nécessaires pour y parvenir. Comment un tel traumatisme pourrait-il seulement être évoqué dans une procédure menée au pas de charge?

En contrepartie de l’accélération des procédures, la mise en place d’une protection juridique est présentée comme une mesure d’accompagnement nécessaire. Chaque demandeur d’asile devrait en théorie pouvoir bénéficier d’un conseil juridique (information générale sur la procédure) et d’un représentant légal (aide individuelle et soutien en cas d’éventuel recours). La qualité de cette protection juridique dépend toutefois de différents facteurs:

  • Ressources dont disposeront les juristes: si les moyens octroyés à un prestataire de protection juridique sont insuffisants, la défense des intérêts des requérants d’asile ne sera pas garantie (surcharge, recours bâclés, etc.).
  • Délais de recours: s’ils sont raccourcis, et c’est prévu pour les procédures accélérées (7 jours de délai), cela complique voire rend impossible la recherche de moyens de preuve et la rédaction d’un recours de qualité.
  • Contrôle des autorités: comme le prestataire est mandaté par l’État, celui-ci pourra lui imposer des restrictions, premièrement dans le type de démarches à entreprendre pour la protection juridique, deuxièmement par un soi-disant «contrôle de qualité». Le Parti démocrate-chrétien a d’ores et déjà réclamé «des contrôles de qualité réguliers afin d’exclure les mandataires qui retardent intentionnellement les procédures».

Une évaluation exhaustive…

Le rôle du représentant légal questionne aussi. (1) Tel que prévu dans la restructuration, celui-ci est appelé à s’investir dans l’établissement des faits, et prend position sur un projet de décision qui lui est soumis par l’ODM. La confiance que le demandeur porte en son représentant légal facilite également l’acceptation d’une décision négative, et donc déboucherait, pour un débouté, sur un retour volontaire plutôt que forcé – un point qui bien sûr est présenté comme une amélioration. On est ici en droit de se demander si le rôle du représentant légal n’est pas en train de dériver, d’un côté parce qu’un établissement des faits de qualité devrait déjà être du ressort de la seule administration, de l’autre parce que la mission première du mandataire doit être de défendre les intérêts du requérant et non de faciliter l’exécution de son renvoi.

Une autre menace pèse sur la restructuration: les durcissements qui seront introduits au moment des débats parlementaires. Le Parti libéral-radical et l’Union démocratique «du centre» (UDC) ont déjà annoncé qu’ils ne voulaient pas d’une protection juridique. Par ailleurs, l’UDC ne manquera pas de revenir, éventuellement par le biais d’une initiative, sur ses récurrentes propositions: assignation des demandeurs d’asile à des centres d’hébergement avec périmètres restreints, instance de recours unique interne à l’administration (exit le contrôle judiciaire), régime d’aide d’urgence pour tous les demandeurs d’asile, etc.

Comme nous l’avons dit plus haut, les premières évaluations de la phase test à Zurich sont attendues pour le mois de décembre. Il y a fort à parier que celles-ci se révèlent plutôt élogieuses, tant l’administration d’un côté et l’OSAR de l’autre mettent les bouchées doubles pour présenter une vitrine alléchante aux parlementaires. Mais tandis que le centre de test attire toute l’attention, il est intéressant de garder un œil sur ce qui se passe ailleurs: au centre des Rochats par exemple, dans le canton de Vaud. Un centre fédéral entrant déjà dans la planification de la restructuration prévue par la nouvelle loi, où l’isolement des réfugiés présumés est tel que l’accès à une aide juridique est très compliqué… Cela ne semble pas déranger beaucoup l’ODM. Alors, à quoi ressembleront les centres fédéraux? Zurich ou les Rochats? Les évaluateurs tiendront-ils compte de cette autre face de la médaille?

…avant de modifier la loi

Les premiers concernés, à savoir les demandeurs d’asile, seront-ils entendus par les évaluateurs pour véritablement juger de la qualité des procédures d’asile? Ceux-ci distinguent-ils rapidement le rôle de leur représentant légal de celui du fonctionnaire de l’ODM? Est-ce qu’ils estiment avoir valablement pu faire état de leurs motifs? Les parlementaires devraient disposer de ces informations au moment de modifier la loi, qui ne doit pas être qu’un meilleur outil de gestion de flux, mais surtout la base légale nécessaire à la mise en place d’une politique d’asile qui respecte la dignité des personnes en demande de protection.

Aldo Brina
Chargé d’information au secteur réfugiés du CSP Genève


Note:

(1) Sur cette problématique, lire Vivre Ensemble n°149 / (septembre 2014)