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La Chappelle en lutte | La liberté d’exister

Je m’appelle Selim, j’ai 20 ans, je viens du Tchad et je suis homosexuel. Je voudrais vous raconter mon histoire.

Billet publié sur le blog « La Chappelle en lutte », le 7 juillet 2015. Cliquez ici pour lire le billet sur le site de Mediapart, qui héberge le blog.

Alors, je ne sais pas par où commencer. En 2013, je vivais avec mes parents et mes frères et soeurs, j’allais à l’école, et j’avais des amis. Quand je me suis aperçu de mon homosexualité, j’ai fréquenté un homme, et comme c’est mal vu dans mon pays, un ami à moi l’a raconté à mon père. Quand celui-ci a découvert que je suis gay, il m’a demandé si c’était vrai, et comme je ne peux pas lutter contre ce que je suis, je lui ai dit la vérité. Mon père ne l’a pas acceptée, il m’a enchaîné et maltraité, il a refusé de m’envoyer à l’école, et a même arrêté de la payer pour que je ne puisse plus assister aux cours. Il m’a dit que je n’étais plus son fils, et tout le monde m’ignorait à la maison. Ils ne me comptaient plus pour les repas, refusaient de me nourrir ou de m’adresser la parole, et m’empêchaient même de sortir. Des fois je m’échappais et ils ne m’ouvraient plus la porte, et je restais des jours et des nuits entières à errer dans les rues. Personne ne voulait m’aider, c’est contre les traditions, contre la culture. À leurs yeux, je suis un criminel, je ne suis plus un homme, je suis condamné. Après un mois à vivre cette situation, ils m’ont abandonné. Ils m’ont dit de quitter la maison. Ils ne voulaient même plus me voir. J’ai donc vécu dans la rue pendant sept mois. Je dormais dehors, et je travaillais au marché la journée pour un salaire ridicule. Les gens que je fréquentais alors n’étaient pas au courant de mon homosexualité, et ceux qui savaient parmi mes amis ou ma famille m’ignoraient ou m’insultaient lorsqu’ils me croisaient dans la rue. Dans mon pays il n’existe pas d’associations pour défendre ou aider les homosexuels. J’étais tout seul, livré à moi-même. J’ai beaucoup souffert, et je souffre encore aujourd’hui. J’ai alors décidé de quitter mon pays. Le 31 mai 2014, je suis parti en camion pour la Libye, avec le projet de travailler pour ensuite aller en France, terre d’asile et pays des droits de l’Homme, où je pensais pouvoir trouver la liberté d’exister et d’être qui je suis. Ça ne servait à rien de rester au Tchad, où j’avais tout perdu, et où je ne pouvais pas vivre librement. Je pensais que ça allait être mieux en Libye. Après 15 jours de voyage en camion dans le désert, en ne mangeant qu’une fois par jour, et en ne buvant qu’un verre d’eau le matin, et un autre le soir, nous sommes arrivés, moi et les 24 autres clandestins, à la frontière libyenne. Là, les douaniers nous ont attrapé, et nous ont amenés à la prison de Ajdabiya. J’ai été emprisonné et torturé pendant huit jours. Ils me demandaient de l’argent pour ma libération. J’ai donc appelé mon père au Tchad, mais quand il a décroché et que je lui ai raconté la situation, il a dit que ce n’était pas son problème et m’a demandé de ne plus l’appeler. Puis ils m’ont relâché, et je me suis retrouvé de nouveau à la rue, sans rien ni personne. Sans argent, ni travail, ni adresse. J’ai dormi quatre jours dans la rue, puis j’ai rencontré des migrants soudanais. Je leur ai raconté la situation, en taisant le fait que je suis homosexuel. En effet, chez eux aussi, c’est mal vu, et c’est contraire à leur culture. Je ne voulais plus être seul, ni rejeté. J’avais besoin d’amis, de compagnons, et de soutien. Ils m’ont donc accueilli pendant 4 jours, et ils m’ont aidé à trouver un travail dans un restaurant soudanais. J’y ai travaillé pendant un an. En Libye il y a la guerre, et la sécurité est quasi inexistante. J’ai plusieurs fois été menacé, et volé dans la rue, ou dans le restaurant. Des civils entraient parfois armés de kalashnikovs et nous volaient tout. J’avais très peur de mourir. Après un an, avec 8 amis soudanais, nous avons payé un passeur pour traverser la Méditerranée et rejoindre l’Italie. La traversée a duré près de deux jours. Nous étions 114 personnes sur un bateau ne pouvant en supporter que 80. Avant de toucher terre, le bateau a calé en pleine mer, juste après avoir franchi la frontière italienne. Nous avons été contraints d’appeler les garde-côtes italiens pour qu’ils viennent à notre secours. On pensait qu’on allait mourir là. La majorité d’entre nous ne savaient pas nager, moi y compris. Une fois à terre, ils ont relevé nos identités, ont pris les empreintes digitales de la plupart d’entre nous, et j’ai passé quelques heures en rétention. Quand j’en suis sorti, je suis allé me reposer, me laver et manger dans un centre d’accueil, puis je suis parti en direction de Milan. J’ai alors pris un autre train pour me rendre à Paris. Je suis arrivé à Paris le 6 juin 2015 à 23h15 avec trois de mes compagnons soudanais. Épuisés, sans argent, mais enfin arrivés! On était tellement heureux! Je croyais être arrivé au paradis. En tant que demandeurs d’asile, nous savions qu’en France nous avions droit à un logement. Nous pensions que tout allait être facile. Mais quelle déception… Le soir même, nous nous sommes rendus au commissariat pour leur expliquer notre situation et leur demander de nous guider vers une association ou vers un organisme qui pourrait nous aider, mais ils nous ont rétorqué que tout était fermé, et que nous devions repasser le lendemain vers 9h. Je leur ai demandé où nous pouvions dormir cette nuit et ils nous ont dit qu’ils ne savaient pas. Nous avons passé la première nuit dans une petite rue près de Gare du Nord. Le lendemain à 9h, ils nous ont indiqué l’adresse de France Terre d’Asile, où nous nous sommes rendus, et où ils nous ont donné un rendez-vous pour le 9 juillet, c’est à dire un mois plus tard. J’ai à nouveau demandé où est-ce que nous étions supposés nous loger en attendant le rendez-vous, et ils m’ont dit qu’ils ne s’occupaient pas du logement, et que pour ça je devais m’adresser à la préfecture. On était le 8 juin, et ça faisait 6 jours que le campement de migrants de La Chapelle (18ème) avait été violemment démantelé et évacué, et quelques jours que les migrants avaient trouvé refuge sur une esplanade de la Halle Pajol. C’est là que nous nous sommes rendus. Et le jour même, la police a procédé à l’évacuation brutale de ce nouveau campement de fortune. Les policiers entrainaient de force migrants et riverains vers les camions, n’hésitant pas à les brutaliser et à les frapper. Ils nous ont gazé alors que nous nous résistions à nous laisser emmener. Je ne comprenais pas ce qu’il se passait, ni pourquoi la police était si violente avec nous; nous n’avions rien fait!!! Nous nous sommes enfui, puis nous nous sommes à nouveau regroupés à Pajol. Entre temps, l’association Bois Dormoy, qui possède un jardin participatif dans le quartier, avait accepté d’héberger les quelques 200 migrants qui avaient réussi à échapper à l’opération policière. Nous nous y sommes donc rendus, et là tout s’est très vite enchaîné. Nous avons prétendu être mineurs, nous avons rencontré une riveraine, qui nous a emmené chez une amie à elle qui a accepté de nous héberger le temps de trouver une solution. Ça fait maintenant un mois que je vis chez cette personne, qui maintenant sait que je suis majeur, qui est au courant de mon homosexualité, et qui est devenue mon amie. Aujourd’hui nous devons déménager, nous n’avons plus d’appartement, et nous ne trouvons plus de solutions. Je n’ai avoué mon homosexualité qu’à peu de gens. Je sais que ça sera mal vu auprès des autres réfugiés, et même mes amis avec lesquels je voyage depuis la Libye ne sont pas au courant. Ici je commence peu à peu à m’assumer. J’ai rencontré des gens qui ne me jugent pas pour ma sexualité, et je souhaite continuer dans cette voie, pour enfin pouvoir m’installer quelque part, et enfin pouvoir commencer à être moi. Avoir des droits, être accepté, et être libre d’exister. Voilà mon histoire.