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Calais so british | A Calais, les bénévoles anglais se mobilisent

Elles s’appellent Claire, Rachel, Suzanne, Carrie ou Laurence. Elles ont rejoint la vague de bénévoles britanniques impliqués depuis plusieurs mois dans la vie du camp de migrants situé à Calais dans le nord de la France. Elles ont décidé de s’investir pour palier à l’immobilisme politique qui fait loi des deux côtés de la Manche mais aussi d’apporter leur soutien, une aide à leur échelle et de distribuer les fruits de leurs collectes individuelles.

Billet de Maude Girard publié sur le blog « Calais so british », le 17 décembre 2015. Cliquez ici pour lire le billet sur le blog.

Situé en France dans la ville de Calais, à tout juste 4 kilomètres du centre ville et à 3 heures de Londres, le camp de migrants et de réfugiés abriterait au moins 6000 personnes venues du Soudan, d’Erythrée, d’Afghanistan, de Syrie, d’Iran et d’Irak, toutes ou presque désireuses de rejoindre l’Angleterre.

Sur place, plusieurs organisations non gouvernementales sont installées comme Médecins sans frontières et Acted, des associations comme SALAM et l’Auberge des migrants ou encore le Centre d’accueil Jules Ferry. Plus surprenant, des vagues de bénévoles réguliers ou permanents, souvent britanniques font également partie intégrante de la vie du bidonville.

Claire, Rachel, Suzanne, Carrie et Laurence, qui se rendent pour la deuxième ou la troisième fois à Calais, représentent l’archétype de ces bénévoles britanniques réguliers, ceux qui effectuent souvent des allers retours vers le camp mais ne dorment pas sur place. Ceux qui veulent «faire quelque chose» explique Claire Earl alors qu’elle raconte le contrôle de douane dont elle a fait l’objet auprès des gardes-frontières avant d’entrer dans le tunnel sous la Manche.

Originaire de Gloucester dans le sud-ouest de l’Angleterre, Claire découvre l’existence du camp de migrants à travers les médias au cours de l’été 2015. Choquée, elle entreprend rapidement des recherches sur le bidonville, rejoint plusieurs groupes Facebook et prend contact avec des coordinateurs sur place. Elle répond dans la foulée à un appel aux bénévoles pour une session de ramassage des déchets.

Les détritus, difficilement quantifiables, s’empilent alors autour des tentes à proximité des espaces de vie des migrants et jalonnent les allées principales et secondaires du camp.

[caption id="attachment_28800" align="aligncenter" width="540"]Photo: Maude Girard Photo: Maude Girard[/caption]

Des déchets qui se multiplient

Ces déchets représentent une menace pour l’hygiène et la salubrité du camp qui souffre déjà de gros manques sanitaires et fait état de cas de gale. Un dispositif de nettoyage lancé à l’initiative de MSF existe déjà, grâce auquel 20 tonnes de déchets sont récoltées chaque jour mais celui-ci ne semble pas suffire pour couvrir la totalité du site. Résultat, les déchets continuent de s’accumuler notamment dans les espaces en retrait des principales artères.

Claire décide alors de prendre part à cette mission de nettoyage et de créer, avec son amie Rachel, une page Facebook dédiée à la collecte et au ramassage des ordures, (Calais «Jungle » Waste and Sanitation Group). La première a lieu en septembre 2015 et a réuni une soixantaine de personnes venues d’Angleterre pour ramasser les déchets ménagers et textiles qui se multiplient à mesure que la démographie du bidonville explose.

Malgré des appels à participation pour la deuxième session, ce week-end du 21 novembre 2015, les bénévoles anglais sont moins nombreux. Une dizaine de personnes seulement, principalement des femmes, ont fait le déplacement jusqu’à Calais, et ce, en dépit d’une météo très aléatoire, d’un froid glaçant et de l’attentat à Paris qui a plongé la France dans l’effroi une semaine auparavant.

Le rendez-vous est donné à 9h30 à l’entrée du camp, Chemin des Dunes. La poignée de bénévoles rejoint la coordinatrice du nettoyage, Rachel. Elle leur présente rapidement les gants en caoutchouc, gants de jardinage, sprays désinfectants pour les mains, masques, pelles, brouettes, sacs poubelles, pics à ordures et cerceaux à sacs poubelles mis à disposition pour la journée.

L’arsenal est professionnel et tout ce qui ne servira pas sera réutilisé ou donné. La consigne est précise: «vous disposerez ensuite les sacs poubelles aux endroits que nous vous indiquerons, pour qu’ils puissent être ensuite ramassés par la commune», ce qui est le cas 6 jours sur 7. L’idée est donc de regrouper pour faciliter, ensuite, le travail de ramassage des ordures.

Une zone un peu en retrait des artères principales du camp est désignée. Les tentes y sont plus disparates, quelques baraquements en bois semblent les avoir progressivement remplacés. Même si la densité de population dans cette zone est moindre par rapport à d’autres dans le camp, les déchets y sont très nombreux.

Alors que la pluie se met à tomber avec insistance, accompagnée de rafales de vent, les bénévoles effectuent le ramassage dans la bonne humeur. Certains chantent, d’autres plaisantent.

Des petits «cafés» où migrants et bénévoles peuvent échanger

Mais tous ne résistent pas à la pluie battante et finissent par se mettre à l’abri dans un des nombreux petits «cafés» du camp composé d’un ingénieux enchevêtrement de palettes de bois, de bâches et de tôle. Ici les habitants du bidonville viennent se réchauffer, se mettre à l’abri, s’asseoir et boire un thé ou un café pour 50 centimes d’euros.

C’est l’occasion pour les bénévoles de discuter avec les habitants du camp, de se rencontrer et d’échanger sur la situation. Une opportunité pour les uns d’expliquer leur désir d’aider, pour les autres de raconter leur périple et leur condition de vie, leurs espoirs, leur projet. A l’image d’Ahmad qui attend que le temps se calme pour regagner sa tente.

Ahmad réside à Alep en 2011 lorsque la révolution pacifique se transforme en conflit sanglant opposant le gouvernement à l’Armée Syrienne Libre. Il fuit alors la Syrie pour se rendre en Turquie où il passe quelques années, pays où le jeune homme tente même de monter un business. L’affaire ne voit jamais le jour et Ahmad sent qu’il doit songer à son avenir ailleurs. Il n’envisage ni la France ni l’Allemagne où les « procédures d’accès aux papiers sont trop longues » et surtout l’accueil moins chaleureux selon lui.

Le jeune homme traverse alors l’Europe comme beaucoup d’autres, dans des conditions parfois dangereuses, souvent périlleuses et toujours éprouvantes. Ahmad arrive à Calais au début du mois de novembre. Malgré tout ce qu’il a enduré, sa détermination à rejoindre l’Angleterre, ses espoirs de pouvoir y construire une vie demeurent encore aujourd’hui intacts.

A l’évocation des attentats de Paris, Ahmad reconnaît ne pas être surpris. Pour lui la menace Daesh est mondiale. Il en profite pour marteler que l’Etat islamique n’a rien à voir avec l’islam, rappelant que les musulmans de Syrie en font largement les frais aussi.

[caption id="attachment_28801" align="aligncenter" width="540"]Photo: Maude Girard Photo: Maude Girard[/caption]

La culpabilité de ne pas pouvoir faire plus

Le temps ne se calme pas, certaines des bénévoles décident de faire un tour dans le camp et, à mesure des rencontres et des besoins évoqués, de distribuer ce qu’elles ont chacune collecté et stocké dans le coffre et sur la plage arrière de leur voiture. Suzanne, la grande sœur de Claire, travaille avec des jeunes en difficultés en Angleterre. C’est donc naturellement qu’elle se tourne vers les enfants qu’elle croise.

Sa question «avez-vous besoin de bottes» revient en boucle. Comme elle l’explique «voir des enfants pieds nus par cette température-là, dans ces conditions-là est proprement inconcevable». Hommes, femmes et enfants s’adressent naturellement aux bénévoles pour savoir s’ils auraient «chaussettes», «bottes» ou «vestes chaudes». Ce sont surtout ces vêtements-là qui semblent manquer. Et pour cause, malgré la distribution des dons organisée tous les week-end par les organisations officielles, difficile de répondre à une demande aussi vaste.

Ainsi les actions des bénévoles s’inscrivent dans une infrastructure humanitaire déjà existante mais qui comporte des manques. Ce sont ces carences qui rendent le travail des volontaires non seulement légitime mais surtout indispensable car même si leur mode de distribution est moins encadré, les vêtements trouvent invariablement preneurs et le nettoyage est toujours bienvenu.

La journée se termine sur une note en demi-teinte. L’équipe est satisfaite d’avoir réussi à rassembler un certain nombre de sacs poubelles mais la culpabilité de ne pas pouvoir faire plus, d’être au chaud lorsque la nuit tombe, pèse sur les esprits. A la question «pourquoi des britanniques se mobilisent dans ce camp de Calais?», Claire et Suzanne répondent qu’elles ont honte de l’immobilisme de leur gouvernement et refusent de rester les bras croisés. Claire envoie d’ailleurs régulièrement des courriers à son député dans lesquels elle l’alerte sur la situation désastreuse du camp.

Pourtant, dans cette histoire, la France et le Royaume-Uni se partagent bel et bien les responsabilités. Le Royaume-Uni n’étant pas soumis à toutes les directives de l’espace Schengen, il bénéficie, à l’inverse des autres pays signataires, d’un droit de contrôle des personnes à ses frontières. Quant à la France, elle s’est engagée en 2003, lors des accords du Touquet, à stopper l’immigration clandestine vers le Royaume-Uni.

Si les migrations actuelles s’expliquent par une quantité de facteurs, l’existence du bidonville de Calais et son boom démographique découlent de ces deux accords. Surnommé péjorativement «la Jungle», le camp déjà surpeuplé accueille chaque jour une centaine de nouveaux arrivants depuis l’été 2015. Quant à Claire, Rachel, Suzanne, Carrie et Laurence, elles songent déjà à une nouvelle journée de nettoyage courant janvier. Car d’ici là il y a fort à parier que rien n’aura changé.