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Club Mediapart | Mineurs isolés étrangers. Le silence assourdissant

Les MIE (mineurs isolés étrangers isolés). Un acronyme. Un « sujet ». Mais au delà, des vies, des regards, des sourires, des larmes, des blessures, des marques. Des êtres. Oubliés.

Billet de Coline Douy, publié sur son blog « A l’Ouest, rien de nouveau… », hébergé sur le site de Mediapart, le 3 février 2017. Cliquez ici pour lire le billet sur le blog.

Je souhaiterais attirer l’attention des lecteurs sur une affaire dont on n’entend parler nulle part alors même qu’elle est symptomatique du sort réservé aux mineurs isolés dans ce pays.

Je parle évidemment de « l’affaire Denko Sissoko », jeune mineur malien qui a perdu la vie en sautant par la fenêtre du « foyer » au sein duquel il était hébergé. Et de la mise à pied de l’éducatrice qui a dénoncé les conditions de vie indignes de ces enfants dans le centre qui les accueille. Je vous mets en lien les différents articles, textes, témoignages relatant le drame, et qui en expliquent les raisons profondes, qui découlent des politiques publiques et institutionnelles menées par le pouvoir en place.

D’une façon générale, je trouve que le sujet des mineurs isolés est totalement ignoré dans les media, y compris Mediapart. En tout cas, mis à part dans certains billets de blog (notamment La chapelle en lutte), ce n’est pas (ou très peu) traité comme sujet en tant que tel. Alors qu’il y aurait tant à dire…

Ce sujet est à mes yeux d’une importance capitale même s’il paraît être un épiphénomène. Car il révèle tant de choses sur ce qu’est désormais notre pays, au sens de ses politiques publiques et de ses institutions. Car un pays incapable de protéger ses enfants est indigne. Le problème est que notre république ne considère pas comme étant ses enfants les enfants étrangers –  qu’elle est en outre dans l’obligation légale, en plus de l’être sur les plans éthique et moral – de faire siens.

A Paris les mineurs isolés sont pour une grande majorité à la rue. Entre leur enregistrement au DEMIE (1) et l’évaluation par le DEMIE, il se déroule souvent plusieurs semaines, lors desquelles les enfants sont « mis à l’abri » (lorsqu’ils le sont) dans des hôtels inadaptés et souvent insalubres, où ils sont parfois malmenés par la sécurité, sans éducateurs pour veiller sur eux, sans suivi sanitaire, ni scolaire, ni juridique. Parfois ils repartent vers d’autres horizons avant même d’être évalués et on perd leur trace. Pour ceux qui restent, ils ne sont informés de ce qui leur arrive que par des soutiens, et aidés dans leurs démarches par l’ADJIE (2).

Pour une très grande majorité ces jeunes sont déclarés majeurs lors de l’évaluation, alors même que bien souvent ils ont un acte de naissance justifiant leur état civil. Ces actes de naissance sont déclarés comme « ne pouvant pas les rattacher à leur véritable identité » (malgré les recommandations à ce sujet du Défenseur des Droits, cf.(3)). Les lettres de refus sont quasiment toutes identiques, reprenant les mêmes arguments : état-civil non valable, incohérences dans le récit, fait preuve d’une trop grande maturité… Une fois reconnus majeurs ces jeunes sont mis à la rue. Ils n’ont pas accès à « la bulle » (4) de la Porte de la Chapelle gérée par Emmaus (dont il y aurait beaucoup à dire puisque c’est un véritable centre de tri) car ils sont considérés comme mineurs – puisqu’ils le sont, et que les papiers qu’ils ont, lorsqu’ils en ont, le confirment. Ils n’ont donc accès ni au dispositif de Protection de l’enfance auxquels ils ont droit, ni accès aux dispositifs « majeurs » puisqu’ils y sont considérés mineurs. Ils se retrouvent mathématiquement à la rue.

Ils viennent peupler les permanences de l’ADJIE, le lundi soir, déposant leurs recours auprès du Juge des Enfants, attendant que les portes ferment jusqu’au dernier moment, lorsqu’ils devront sortir affronter le froid glacial. Certains s’effondrent et fondent en larmes alors que parfois ce sont de « grands gaillards » et qu’ils ont déjà traversé tant d’épreuves… Tout ça pour ça… Cette violence, cette tristesse, c’est dur à encaisser.

Alors des gens se battent, des réseaux de solidarité très solides et réactifs se sont créés, et grâce à l’énergie acharnée de quelques un.e.s et la solidarité de beaucoup d’autres, une partie de ces enfants est accueillie chez des soutiens, anonymes qui leur permettent de vivre une vie digne : se rendre à des cours de français, avoir un téléphone pour pouvoir joindre et être joint en cas de problème, accéder aux soins qui sont parfois urgents, mais également, se rendre chez le coiffeur, acheter de la pommade au beurre de karité pour hydrater les peaux si sèches, avoir des vêtements chauds…

Mais aussi, tout autour, des réseaux de cours de français, des permanences juridiques, sociales, des sorties culturelles et des activités ludiques ont émergé de façon quasi-informelle, par la seule détermination de la base. Chacun amène son savoir faire. Ces enfants, pour certains, sont accueillis, au sens fort du terme.

Ces femmes et ces hommes de l’ombre ne pensent pas être des héros, ils le font parce qu’ils pensent que ne pas le faire serait une infâmie, et ils sont tenaces avec ça… Ils rachètent le déshonneur et l’incurie des gouvernants qui sont sensés être les garants du Droit et protéger ces enfants. Car ces enfants sont les nôtres.

Et ces réseaux n’ont pas émergé uniquement à Paris. Dans toutes les régions, dans beaucoup de villes, dans plein d’endroits, même les plus improbables.

Malheureusement une partie de ces jeunes un jour partent, écœurés du sort qui leur a été réservé, las de devoir se justifier.

Ecoeurés d’avoir été traités de menteurs, d’affabulateurs, de profiteurs.

Ecoeurés d’être ainsi traités et mis au ban de ce qu’ils croyaient être le pays des droits de l’Homme, le pays de la Liberté, du vivre bien…

Ils repartent sur les routes vers l’Espagne, l’Italie, pour espérer gagner au black de quoi aller en Angleterre, d’autres partent vers le Nord et la Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne, dans l’espoir qu’enfin on les re-connaissent. Parfois laissant sans nouvelles ceux, inquiets, qu’ils ont rencontrés sur leur route, qui n’a jamais de fin. On estime à 10’000 le nombre d’enfants « perdus » en Europe.

Et nous, qu’avons-nous fait de ces enfants, à part les blesser, les abimer encore plus?

Coline.


Notes

(1) Dispositif d’évaluation des mineurs isolés étrangers, géré par la Croix-Rouge à Paris.

(2) ADJIE – Permanence associative Adjie (accompagnement et défense des jeunes isolés étrangers). Permanence d’accueil à l’initiative de plusieurs associations dans le but de venir en aide aux mineurs et jeunes isolés étrangers qui rencontrent des difficultés pour entrer dans le dispositif de protection ou pendant leur prise en charge par l’ASE.

(3) http://www.defenseurdesdroits.fr/fr/actus/actualites/mineurs-isoles-etrangers-mie-le-defenseur-des-droits-rappelle-les-principes-de-l

(4) http://emmaus-france.org/ouverture-a-paris-dun-centre-humanitaire-pour-migrants/

Articles connexes:

Sur Denko Sissoko:

Sur les mineurs isolés « triés » à Calais, un texte superbe:

A Grande Synthe:

Sur les enfants disparus:

Les mineurs isolés à Paris:

Et tant d’autres que je n’ai pas la place de citer ici, mais que vous trouverez si le sujet vous intéresse.