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Notre regard

Décryptage | Pacte migratoire européen. Une guerre larvée anti-migrant·es

MARIE-CLAIRE KUNZ

Le 20 décembre dernier, le Conseil et le parlement européen se réjouissaient d’être parvenus à un accord sur cinq points du nouveau Pacte sur la migration et l’asile, en discussion depuis plusieurs années [1]Julien Vaudroz, Nouveau pacte sur la migration. Une forteresse Europe qui s’enlise, VE 193 / juin 2023. Les craintes formulées par les milieux de défense du droit d’asile se révèlent malheureusement fondées, puisque les «avancées» annoncées par l’Union européenne (UE) ressemblent bien davantage à la poursuite de l’édification de la forteresse Europe. Explications.

L’accord conclu entre les membres de l’UE se concrétise autour de 5 textes législatifs distincts qui seront soumis au parlement européen d’ici avril 2024. Ils concernent un nouveau règlement sur le filtrage à l’entrée du territoire européen, un renforcement de la base de données Eurodac, un règlement sur les procédures d’asile, un règlement sur la gestion de l’asile et la migration visant à établir des critères de responsabilité et un mécanisme de solidarité entre les États membres, et deux règlements concernant les cas de crise et de force majeure, à l’instar de la situation migratoire de 2015, à l’origine de la réforme.

Nouvelles du jour, publié dans Le Charivari, 16 avril 1867,
Honoré Daumier

Sous les termes de «filtrage», l’UE entend ici clairement renforcer la protection de ses frontières et établir des procédures de tri avant l’entrée sur le territoire des États membres, pour tout étranger tentant de franchir irrégulièrement ses frontières. Or, on le sait, la grande majorité des demandeurs d’asile arrive en Europe de cette manière et sera donc concernée par cette nouvelle procédure.

Des centres de détention devraient ainsi voir le jour aux abords des frontières, où se déroulera justement ce «filtrage». Il déterminera la procédure applicable et selon, le droit d’entrée sur le territoire des États membres, pour y poursuivre la procédure d’asile. Elle comprendra notamment un contrôle d’identité, sanitaire et de sécurité, ainsi que la prise des empreintes digitales, pour la banque de données Eurodac.

Cette dernière sera dorénavant renseignée non seulement par les données biométriques des personnes interceptées, mais aussi par des photographies et des informations sur leur identité, leur parcours et sur les éventuelles décisions déjà rendues à leur encontre, afin de permettre un meilleur traçage. Le droit d’accès à Eurodac est élargi aux autorités de répression des États membres.

Toujours dans ce cadre, l’UE introduit une procédure d’asile unique, contenant des règles communes tant pour les procédures menées à la frontière que pour celles menées sur le territoire des État membres. Une procédure d’asile accélérée pourra se dérouler à la frontière, notamment pour les personnes dont la demande est jugée peu solide, sur des critères tels que le pays de provenance. Dans ce premier cas, l’UE souhaite à terme établir une liste commune des pays tiers jugés sûrs. De telles listes existent déjà au niveau des États, mais divergent d’un pays à l’autre. À ce stade, l’UE indique que cela concernera les États de provenance avec un taux d’acceptation des demandes de protection en dessous de 20%.

Cette procédure concernera également les personnes jugées comme une menace pour la sécurité des États membres. Une procédure européenne de renvoi est également prévue, applicable immédiatement depuis les frontières extérieures, afin d’apporter une réponse commune à l’épineux dossier des renvois depuis les États membres et de parer aux mouvements secondaires sur le territoire de ceux-ci.

Sur le volet de la responsabilité des États membres en matière de procédure d’asile, le Règlement Dublin sera remplacé par le Règlement relatif à la gestion de l’asile et la migration. Les critères de responsabilité prévus par le Règlement de Dublin III y restent cependant d’actualité : le pays de première entrée demeure compétent. Les demandeurs d’asile se verront en outre fortement découragés à se rendre dans un pays qui n’est pas responsable de leur demande d’asile. Le délai durant lequel un État restera responsable de la demande d’asile d’une personne est significativement prolongé, allant jusqu’à trois ans en cas de disparition par exemple.

Ce principe sera pondéré par un mécanisme de solidarité entre États pour éviter que les pays d’entrée n’assument seuls la prise en charge des personnes en quête de protection. Si le principe de solidarité est cette fois acté dans le système européen, la forme qu’elle prendra reste cependant optionnelle. Les États débiteurs pourront choisir entre une aide financière et logistique aux pays concernés par les entrées ou par l’acceptation d’une relocalisation sur leur territoire d’un nombre donné de demandeurs d’asile.

Ce mécanisme de solidarité en temps normal est complété par un autre texte. Il vise à instaurer un mécanisme plus contraignant en cas de crise migratoire ou de force majeure. Outre le déclenchement facilité du mécanisme de solidarité ci-dessus, des règles dérogatoires permettront un traitement de davantage de demandes d’asile aux frontières pour les pays où le taux de protection est égal ou inférieur à 50% cette fois.

Cette réforme soulève évidemment des inquiétudes légitimes, mais elle pose aussi des questions plus symboliques. À quel moment une puissance étatique – ou interétatique – exporte-t-elle en effet ses pouvoirs de police et de sécurité hors de son territoire, si ce n’est en temps de guerre? C’est bien une guerre anti-migrant·es larvée qui se jouera dorénavant aux frontières européennes et nous n’avons certainement pas fini d’en parler.


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Notes
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1 Julien Vaudroz, Nouveau pacte sur la migration. Une forteresse Europe qui s’enlise, VE 193 / juin 2023