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Documentation

Solidarité Tattes | #StopDublinCroatie. Frappé à mort (3/5)

La nuit du 31 décembre 2022 au 1er janvier 2023, alors que la Croatie s’apprête à rejoindre l’espace Schengen et à adopter l’euro, Clovis et son ami Alain, après avoir été abandonné par leur passeur, vivent une terrible tragédie à la frontière croate. Le récit poignant de Clovis dépeint une nuit de liesse pour les Croates, mais une nuit d’horreur pour lui et les autres personnes migrantes du groupe face à la police croate. Au milieu d’une fuite éperdue, une série d’événements bouleversants et traumatisants laisse Clovis avec une quête de justice et une lutte pour sa survie jusqu’en Suisse où il est menacé de renvoie en Croatie. L’histoire de Clovis soulève des questions cruciales sur les droits des personnes réfugiées.

Photo de Jannik sur Unsplash

L’association Solidarité Tattes a recueilli à Genève une série de témoignages, publiés dans le quotidien Le Courrier durant le mois de juin. Les récits sont ceux de personnes menacées de renvoi Dublin vers la Croatie, un pays dans lequel elles ont subi des pushback et de graves violences à la frontière. Les associations de défense des droits humains actives dans l’asile sont unanimes à appeler à renoncer à de tels renvois, d’autant plus pour les personnes vulnérables ou ayant été traumatisées du fait des violences subies. Les risques de refoulement en chaîne en raison du faible taux de protection octroyé en Croatie pour des personnes originaires de pays notoirement problématiques au niveau des droits humains sont soulignés.

Avec l’aimable autorisation de Solidarité Tattes et du Courrier, nous republions ces témoignages durant l’été. En bas de l’article, retrouvez de la documentation récente sur la thématique Dublin Croatie.

Clovis raconte la nuit du 31 décembre 2022 au 1er janvier 2023 à la frontière croate: «C’était une nuit de liesse pour les Croates car leur pays allait entrer dans l’espace Schengen et passer à l’euro». Une nuit d’horreur pour Clovis.

Sur leur chemin d’exil depuis l’Afrique, Clovis et son ami d’enfance, Alain (prénom d’emprunt), se sont retrouvés à la frontière entre la Bosnie et la Croatie.

«On est arrivés de nuit. Le passeur nous a abandonnés et on s’est perdus dans une brousse marécageuse. Pour éviter la police, on est ensuite restés cachés toute la journée en attendant que la nuit tombe à nouveau. On n’avait plus rien avec nous, rien à manger, rien à boire. Il faisait froid. On était près de 24, de différentes nationalités, avec des personnes seules, des enfants, des familles et une femme enceinte.»

En fin de journée, le groupe prend le train en direction de Zagreb. Mais avant l’arrivée, la police monte et les interpelle.

«Je pense que c’est le contrôleur qui nous a dénoncés, même si on avait des tickets. La police nous a demandé de sortir et de nous aligner. Ils nous ont fouillés. Ils ont pris nos téléphones. On n’avait plus Internet, on ne pouvait plus s’orienter. Ils ont pris notre argent, nos écouteurs, nos montres, nos chargeurs. Ils se disputaient entre eux nos objets de valeur: «Hier tu as eu ça, c’est pour moi aujourd’hui!».

«Ils nous ont fait monter dans leur fourgonnette grillagée aux vitres opaques. On était entassés comme des animaux. Ils roulaient très vite et on se cognait les uns aux autres. On criait, on pleurait, certains se sont uriné dessus. On a roulé ainsi pendant environ une heure trente. Et… on était de nouveau à la frontière. Un à un, ils nous ont fait sortir. Et là, ils nous ont tabassés copieusement. Cela durait de longues minutes, il pouvait y avoir dix policiers sur toi, ils avaient des bagues de frappe. On entendait les cris de ceux qui se faisaient battre. Ensuite, ils leur disaient: ‘Go!’, et ils les repoussaient de l’autre côté de la frontière en Bosnie.»

Glacé, raide et sans pouls. «Mon ami Alain a été frappé, puis mon tour est arrivé. Je suis sorti, il faisait nuit noire, il n’y avait que leurs torches. J’ai vu un corps au sol et j’ai bientôt compris que c’était mon ami. J’ai commencé à dire mes dernières prières. Ils ne contrôlaient pas où ils frappaient, j’étais comme un sac de boxe et c’était à qui taperait le plus fort. Les femmes étaient tapées aussi. Pas les enfants, mais les ados, oui. Ensuite, ils ont entrechoqué nos téléphones dans un sac avant de nous les rendre. Sans les cartes SIM. La plupart étaient cassés.»

Clovis cherche alors son ami: «J’ai vu que c’était lui au sol. J’étais tellement traumatisé par la douleur que je ne comprenais plus. Je lui ai dit  ‘Alain, lève-toi, on part’, mais il ne se levait pas. A plusieurs, on l’a amené de l’autre côté de la frontière. On n’arrivait pas à le réanimer. On lui faisait des massages cardiaques. Il avait la tête fendue et il saignait. Ça a duré jusqu’au petit matin. Il était tout glacé, presque raide, sans pouls. On sentait bien qu’il était mort. J’ai pris une dernière photo de lui. Les policiers ont tiré en l’air en nous disant de dégager et c’est là que tout le monde s’est enfui. On a été obligés d’abandonner Alain.»

La Croatie, plus jamais! S’ensuivent alors trois jours de marche en Bosnie, un nouveau passage de frontière, la prise d’empreintes et le «seven days paper» obligeant les requérant-es à quitter le territoire dans un délai de sept jours, «même pour ceux qui avaient demandé l’asile».

Clovis poursuit sa route jusqu’en Suisse. Aujourd’hui, à Genève, il est menacé d’un renvoi vers la Croatie.

«Si les Croates voulaient nous dégoûter de leur pays, ils ont réussi leur coup.» Justice doit être rendue pour Alain.

Clovis doit rester en Suisse, le Conseil d’Etat doit stopper les renvois Dublin vers la Croatie!

Cet article est paru dans le journal Le Courrier le mercredi 21 juin 2023


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