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Notre regard

Votations sur l’initiative UDC | Après «Christoph» Koller, voici «Christoph» Metzler. Le Conseil fédéral sur les traces de l’UDC

Quoi qu’il arrive le 24 novembre (et le pire n’est pas exclu) Christoph Blocher et son parti UDC (Union démocratique du centre) auront réussi un exploit peu commun, avec leur initiative «contre les abus dans le domaine de l’asile». Depuis son élaboration en 1998, toutes ses idées, toutes, ont été reprises par les experts de l’Office fédéral des réfugiés (ODR) et endossées par le Conseil fédéral. Le gouvernement et la majorité ont tenu à s’opposer à l’initiative pour sauver les apparences. Mais si on examine les modifications récentes de la législation et les révisions de lois à venir, l’identité de vue est consternante.

Le rapporteur de la Commission ad hoc du Conseil national le disait lui-même lors des débats aux Chambres, en mars 2002:

«S’agissant des propositions visant à appliquer le principe de l’Etat tiers réputé sûr et à introduire des sanctions à l’encontre des compagnies aériennes, des réglementations complètes et efficaces sont en cours d’élaboration dans le cadre de la révision totale de la loi fédérale sur le séjour et l’établissement des étrangers et de la révision partielle de la loi sur l’asile». Pour le reste «les objectifs visés par les auteurs de l’initiative sont en grande partie atteints par la législation en vigueur», «en matière d’assistance, les préoccupations des auteurs de l’initiative sont satisfaites dans une large mesure» (BOCN 20.3.02, pp. 355 et 353).

Pour y voir de plus près, prenons chacune des six revendications de l’Initiative UDC pour les comparer à la législation et aux projets officiels de révision de la loi sur les étrangers (LEtr – message du Conseil fédéral du 8.3.02) et de la loi sur l’asile (LAsi – message du 4.9.02).

Etats tiers «sûrs»

a) «L’autorité n’entre pas en matière sur une demande d’asile présentée par une personne entrée en Suisse au départ d’un Etat tiers réputé sûr (…)». Cette orientation est au cœur du projet de révision de la LAsi. Avec toutefois des modalités d’application qui diffèrent. Le Conseil fédéral laisse la place à des exceptions pour tenir compte des liens familiaux et il admet l’entrée en matière si l’Etat tiers refuse de reprendre le requérant (voir encadré p. 6). Par contre, le Conseil fédéral veut permettre une mise en détention de vingt jours, sans condition particulière, pour assurer le renvoi en cas de non entrée en matière (art. 73 LEtr). En outre, le projet LAsi prévoit également le renvoi immédiat vers des pays de transit qui ne sont pas déclarés «sûrs», si ce renvoi paraît exigible au cas par cas.

Liste à rallonge

b) «Le Conseil fédéral dresse une liste des Etats tiers sûrs [qui respectent les conventions internationales]». C’est exactement le pouvoir que le Conseil fédéral veut s’arroger avec le projet LAsi. En 1999, celui-ci avait d’ailleurs déjà tenté d’introduire le principe du renvoi systématique si un Etat de l’Union européenne acceptait la reprise. Constatant l’absence de base légale, la Commission suisse de recours en matière d’asile (CRA) avait cependant refusé de couvrir cette pratique (JICRA 2000/1). Selon le projet officiel, il suffit qu’un Etat respecte le principe du non-refoulement pour être déclaré «sûr». L’initiative UDC est plus stricte. Elle implique le respect du Droit international des réfugiés et de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) dans leur entier. De ce fait, elle exclut aussi de déclarer sûrs des pays tiers non européens, contrairement au projet LAsi. Rappelons que le Conseil fédéral a déjà la compétence de déclarer «sûrs» les pays d’origine de certains réfugiés, pour ne pas entrer en matière sur leur demande d’asile. Actuellement, il considère par exemple l’Inde comme un pays d’origine «sûr» (voyez ce qui se passe au Cachemire…). En 1991, il avait déclaré «sûrs» des pays aussi instables que l’Angola et l’Algérie!

Voie des airs verrouillée

c) «Les compagnies d’aviation [qui n’assurent pas le] contrôle de l’immigration sont sanctionnées». Sur ce plan, le Conseil fédéral a déjà concrétisé l’objectif de l’UDC dans le projet LEtr (art. 89: 5000 frs. d’amende par passager sans papier embarqué par négligence). Il s’agit là bien sûr, pour l’initiative comme pour le projet officiel, de fermer la voie des airs en complément des renvois en cas de transit terrestre.

Assistance réduite

d) «Les prestations d’assistance accordées aux requérants d’asile sont réglées de manière uniforme pour l’ensemble de la Suisse et en dérogation aux normes générales. Elles sont en principe fournies en nature».

La dérogation par rapport aux normes d’assistance appliquées aux autres résidents et le principe de prestations en nature (logement, vêtements, parfois nourriture), qui seraient ainsi inscrits dans la Constitution sont déjà la réalité. Les montants d’assistance sont même largement inférieurs au minimum vital officiel. Par contre, l’idée de normes identiques dans toute la Suisse est combattue par le Conseil fédéral, qui préfère en rester à un système de subventions forfaitaires, que les cantons utilisent comme ils le veulent.

Accès aux soins

e) «Les cantons désignent les dispensateurs de soins médicaux et dentaires aux requérants d’asile». Le Conseil fédéral a déjà repris cette idée dans une ordonnance du 11 août 1999 (art. 26 al. 4 OA2: «Les cantons restreignent la liberté des requérants d’asile de choisir leur assureur et leur fournisseur de prestations [médicales]»). Le projet LAsi prévoit encore de consolider cette règle en l’inscrivant dans la loi.

Pression sur les départs

f) «Les requérants [déboutés] reçoivent jusqu’à leur départ des prestations d’assistance publique limitées à un logement et une nourriture simple, et aux soins d’urgence. Ils ne peuvent exercer une activité lucrative». L’interdiction de travailler pour les réfugiés déboutés existe déjà dans la LAsi. L’idée d’une assistance minimaliste (visant à pousser les intéressés à «disparaître») a été fortement appuyée par le fameux «Rapport sur le financement», présenté conjointement le 9 mars 2000 par le directeur de l’ODR, Jean-Daniel Gerber et la Conseillère d’Etat UDC Rita Fuhrer.

Cette collaboration ODR/UDC a débouché, dans le projet LAsi, sur une formule réduisant fortement les subventions des cantons qui ne se montreraient pas assez durs pour faire partir les déboutés. En bref, le droit d’asile est aujourd’hui placé dans le collimateur d’un fusil à deux coups. L’UDC ouvre les feux le 24 novembre 2002, mais le projet concocté par les experts de l’ODR, que le Conseil fédéral vient de soumettre à l’examen des Chambres fédérales, nous replacera devant les mêmes perspectives, si l’UDC rate son coup, ce qu’il faut espérer. Reste qu’un rejet marqué de son initiative limiterait peut-être un peu certaines velléités de durcissement.