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Notre regard

Auto-goal | Refus de collaborer, une réponse à l’arbitraire?

«Abus»: quelques vérités dérangeantes

La discussion sur les «abus» dans le domaine de l’asile ne cesse de se développer, au point que l’on pourrait parfois croire que notre société est plus gravement menacée par les requérants qui truquent leur identité que par les multiples tricheurs qui fraudent le fisc et privent la collectivité des ressources dont elle a besoin, ou par les automobilistes téméraires qui oublient le code au point de mettre en danger la vie d’autrui. Faut-il pour autant fermer les yeux sur ce qui se passe en lien avec l’asile? Sans doute pas. Mais il faut aussi faire l’effort de remettre les choses dans leur contexte.

Parce qu’elle repose sur une hypocrisie (se dire attaché au droit d’asile, mais espérer que le moins possible de réfugiés s’adresseront à nous), la pratique de l’asile est entachée de nombreuses ambiguïtés. De tout temps, il est connu que celui qui s’annonce à la frontière risque le refoulement immédiat. Il n’est d’ailleurs pas possible de disposer d’interprètes à tous les postes frontières. Moralité, nous sommes d’accord d’examiner votre demande, mais arrangez-vous pour arriver en Suisse clandestinement. Singulière entrée en matière.

Zone d’ombre dans les aéroports

Dans les aéroports, les exemples de fonctionnaires refusant d’ouvrir la procédure d’asile à la faveur de cette zone d’ombre que sont les zones de transit sont nombreux, et dans ces cas là le danger est d’autant plus grand que le renvoi s’opère sur le pays d’origine. Face au risque de se voir remis immédiatement dans l’avion, comment ne pas comprendre le geste de celui qui détruit ses documents de voyage pour obliger ses interlocuteurs à l’écouter? Nombre d’abus de la part de requérants répondent ainsi aux abus de l’administration et aux rumeurs qui en résultent.

Renvoi vers un pays tiers

Si les autorités se plaignent beaucoup de ce que la majorité des requérants ne présentent pas de documents permettant de prouver leur identité, il faut savoir que c’est l’Office fédéral des réfugiés (ODR) lui-même qui a donné le coup de grâce à la remise de documents de voyage en règle. A la fin de l’année 1987, il est en effet apparu que le Délégué aux réfugiés (comme s’appelait alors l’ODR) ordonnait systématiquement le renvoi préventif en Italie des requérants Turcs et Libanais (deux des principaux groupes du moment), qui avaient remis leurs passeports à l’arrivée.

Pratique abusive

Cette pratique, qui violait la loi en ne respectant pas l’exigence d’un séjour préalable de vingt jours dans le pays tiers, avait pour but de casser l’augmentation du nombre des demandes. Mais loin de faire passer le message «ne venez pas en Suisse», elle a surtout servi à convaincre les réfugiés qu’il n’était pas possible de faire examiner sa demande d’asile si on déposait son passeport. «Vivre Ensemble» en avait dénoncé les effets pervers dans son numéro 14 de décembre 1987.

Entrée en liste des pays «sûrs»

Après l’arrêté urgent de 1990, le Conseil fédéral a pu désigner arbitrairement des pays d’origine «sûrs» pour permettre le renvoi immédiat de leurs ressortissants: demander l’asile devenait un cul de sac lorsqu’on était par exemple Albanais, Indien, Algérien ou Angolais. C’est ainsi que certains ont a commencé à se faire passer «abusivement» pour Albanais de la Kosove, Pakistanais, Marocains ou Zaïrois. Mais contrairement à ce qu’on laisse croire aujourd’hui le nombre de ceux qui dissimulent leur origine pour empêcher un renvoi reste étonnamment limité: de l’ordre de 1% des cas (soit 237 personnes en 2002), selon les chiffres donnés par Jean-Daniel Gerber lors de la conférence de presse du 14 janvier 2003.

Gabegie en perspective

Avec la nouvelle révision de la loi sur l’asile, c’est encore un nouvel auto-goal que programment les autorités avec leur projet de multiplier les renvois vers les pays tiers. Que pourront faire les réfugiés pour se prémunir d’un renvoi immédiat? Mentir sur leur itinéraire. Belle gabegie en perspective. A toutes les étapes, le droit d’asile est ainsi appliqué que les «abus» sont systématiquement programmés, et ce n’est pas en multipliant les mesures répressives que les autorités convaincront les candidats à l’asile qu’elles sont prêtes à examiner loyalement leur requête plutôt qu’à chercher un expédient pour les renvoyer. Cette situation dure maintenant depuis tant d’année qu’il sera difficile d’en sortir, mais il faudrait au moins ne pas l’aggraver. C’est comme si, au fond, on se félicitait de pouvoir agiter tel ou tel «abus» pour mieux pousser au démantèlement du droit d’asile.