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Notre regard

Témoignage | Exil: «Tout laisser et partir»

Travaillant en Algérie comme avocat, R. M., exilé en Suisse, a écrit ce texte pour témoigner de sa situation de réfugié. (Réd.)

Je n’ai pas librement choisi la situation de réfugié. Comme beaucoup de personnes dans mon cas, j’ai été contraint de tout laisser et partir. «Tout laisser et partir»: apparemment, c’est une expression toute simple; ce genre d’expression qui ne prête par forcément à réfléchir plus que de besoin. Mais cela veut dire en fait beaucoup pour celles et ceux qui en ont fait l’expérience.

«Tout laisser et partir» signifie d’abord laisser sa maison et toutes ces petites choses matérielles et donc insignifiantes par définition mais qui, quoiqu’on en dise, nous tiennent tellement à cœur. Tel livre qu’on a pas eu le temps de terminer, tel album de photos, le chat Félix… Au fait qu’est-il devenus sans nous?

Alors, a-t-on vraiment le choix?

C’est aussi et surtout sa famille, ses amis, ses habitudes, le soleil et le ciel, et la mer, bleue… C’est encore sa profession ou plus précisément sa place par rapport à un tout, à la société, aux autres, à l’autre. Le travail n’est pas nécessairement lié à son «importance» bien que, à dire vrai, il y ait un petit peu de ça, mais il s’agit plutôt du fait de se sentir utile, d’être un maillon de la chaîne… De bénéficier d’une certaine reconnaissance des personnes auxquelles on apporte une aide, un soutien ou quelques mots de réconfort.

Bien sûr, lorsqu’il s’agit de fuir la haine, la torture, la prison, un seul objectif compte: trouver une terre d’accueil, une île de paix, un pays où mes enfants ne seront pas obligés de réciter leurs poèmes dans les parloirs des prisons; où je ne lirai plus dans leurs yeux cette question qu’ils ne me posaient pourtant jamais: «Rentreras-tu ce soir?»

Alors, a-t-on vraiment le choix? Partir, partir d’abord. On verra après, on aura le temps, on réfléchira… Un peu comme sauter du dernier étage d’un bâtiment en feu.

Oublier ce que l’on a été

Aussi ressent-on en arrivant une sorte d’ivresse. J’ignorais qu’on pouvait éprouver une ivresse de paix, de sécurité… On est également étonné d’être encore vivant, de pouvoir sortir la nuit et marcher, seulement marcher, très loin, très tard, sans sursauter, sans se retourner… Mais passée l’ivresse, surgissent les questions, les vraies. Celles qu’on se posait et dont on reportait toujours la réponse: Combien de temps durera l’exil? Quelle est ma place dans cette société? Que puis-je lui apporter? Dans quelle mesure dois-je m’intégrer? La réalité reprend ses droits, sans complaisance (…) Cette réalité vous fait comprendre qu’il faut commencer par tout réviser à la baisse (…) Et notamment, avec un diplôme étranger, ses prétentions professionnelles (…) Oui, c’est encore ça, un réfugié… Oublier ce qu’il a été, effacer le passé et se dire qu’au fond, avant, c’était une autre vie, une existence que l’on n’est même plus tout à fait sûr d’avoir vraiment vécue.

R. M.

Paru dans le journal de l’OSAR Planète exil no 19, septembre 2002