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Notre regard

Valais | Controverse autour du remboursement de l’assistance

Une vérité officielle bien fragile

«Thomas Burgener fâché: les propos de Sœur Marie-Rose sur les demandeurs d’asile n’ont pas plu au chef des Affaires sociales». C’était sur toute la largeur de la page, le titre d’un article publié par «Le Nouvelliste» le 25 juin 2003. Et le Conseiller d’Etat d’y ajouter une prise de position de quatre pages diffusées auprès de ceux qui demandaient des précisions. Avec à la clé, le reproche fait à cette religieuse de véhiculer diverses affirmations «sans vérification ni pondération». Vivre Ensemble a cherché à en savoir plus. Et de façon étonnante, il s’avère aujourd’hui que ce sont les remontrances du Conseiller d’Etat qui apparaissent, sous bien des aspects, comme des affirmations «sans vérification ni pondération».

Pourquoi une telle colère de la part d’un magistrat ? Depuis 1997, et après 27 ans d’enseignement, Sœur Marie-Rose se consacre à un ministère de visite, d’écoute et de soutien aux requérants d’asile. Sa disponibilité en a fait la confidente de nombre de ces exilés, qui se retrouvent, en Valais particulièrement isolés. A leur contact, elle se trouve confrontée à de multiples questions sur la gestion de l’assistance et les prélèvements opérés sur les salaires de ceux qui travaillent. Un système incompréhensible pour les intéressés.

Démarches multiples

Aucune œuvre d’entraide n’ayant mis sur pied de service juridique pour les requérants d’asile en Valais, et ces derniers ne pouvant compter que sur l’aide du Centre Suisse-Immigrés, qui n’emploie qu’une collaboratrice à mi-temps, Sœur Marie-Rose comprend rapidement qu’il lui faudra agir par elle-même. Multipliant les démarches et les contacts, refusant de se décourager lorsqu’elle se heurte à un mur, cette ursuline au sens de la justice et de la dignité humaine chevillées au cœur finira par provoquer différents articles de presse ou interventions de députés, dont une émission télévisée de la série «Mise au point» très critique à l’égard du Valais. Mais c’est la parution d’un article dans la revue de la société médicale valaisanne, en juin 2003, qui fera sortir de ses gonds le Chef du Département concerné.

Le ton monte

«Sur le salaire de X., y affirme Sœur Marie-Rose, d’année en année, les autorités cantonales ont prélevé des montants atteignant un total de plus de Fr. 35’000.-, principalement pour payer des soins médicaux indispensables». «Impossible» lit-on quelques jours plus tard dans «Le Nouvelliste», qui cite Thomas Burgener: «les requérants sont tous assurés auprès d’une caisse maladie». Dans cette contre attaque qui met en jeu la crédibilité de Sœur Marie-Rose, ce point est essentiel. Car c’est en fait le seul exemple concret de cette controverse.

Affirmations étayées

S’agissait-il vraiment d’une affirmation en l’air ? Nous avons demandé à Sœur Marie-Rose sur quoi elle s’appuyait. Loin de se trouver en difficulté, celle-ci nous a alors transmis le relevé officiel des frais d’assistance d’un requérant du Bangladesh entre 1990 et 2000. Sous la mention «rembours.» un total de Fr. 36’458.05; sous la mention «Fr. méd.», un total de Fr. 39’392.75, principal montant de ce relevé, à côté de frais de loyer, d’entretien ou de pension.

Et par la même occasion, Sœur Marie-Rose nous a montré les dizaines de relevés de situation, décomptes de sûretés et autres pièces collectées et analysées avec soin pour fonder ses affirmations.

Uniquement ?

Nous avons bien sûr demandé au Conseiller d’Etat comment il se situait par rapport à ce relevé de frais médicaux «impossible». Plutôt que d’admettre qu’il avait accusé sans vérifications, celui-ci a d’abord choisi de biaiser et de déformer les choses. «il apparaît (…) clairement que le total des frais de loyer, pension, argent de poche se monte à Fr. 24’422.75. Il n’est donc pas exact de prétendre que le montant de Fr. 36’458.05 a servi uniquement au remboursement des frais médicaux». «Uniquement» ? Qui a dit «uniquement» ? Sœur Marie-Rose avait écrit «principalement». Et c’est bien la vérité.

L’erreur est humaine

Dans un second temps, le Conseiller d’Etat finira d’ailleurs par expliquer: «nous ne pouvions (…) pas imaginer que Sœur Marie-Rose faisait référence à une période antérieure à l’obligation d’assurance». Dont acte. Tout le monde peut se tromper. Encore que les services de Monsieur Burgener savent bien que les décomptes d’assistance qui suscitent des interrogations remontent nécessairement au début des années nonante, puisque ce sont des requérants ayant obtenu le permis B, après quelques dix ans de séjour, qui sont confrontés au bouclement de leur dette d’assistance.

Une attaque plutôt déplacée

Sur plusieurs autres plans encore, on peut montrer que l’attaque lancée contre Sœur Marie-Rose était plutôt déplacée. «L’affirmation comme quoi le DSSE [Département] a exigé un double remboursement de la dette est totalement fausse» affirme par exemple le Conseiller d’Etat dans sa prise de position. Pourtant, de multiples décomptes montrent le contraire.

Et en réponse à nos questions, Thomas Burgener ne nie plus cette pratique. Il affirme simplement: «si, jusqu’à fin 1996, nous avons exigé le remboursement des frais d’assistance à tous les requérants d’asile au bénéfice d’un revenu, ces montants ont par contre été restitués par notre canton à l’Office fédéral des réfugiés, qui les considère dans l’établissement des décomptes de sûreté». Le problème, c’est que de nombreux décomptes de sûretés ne prennent pas en considération les montants remboursés au canton. L’Office fédéral des réfugiés (ODR) nous a d’ailleurs confirmé qu’il n’en a pas automatiquement connaissance.

Un système complexe

Le système est complexe. C’est le moins qu’on puisse dire. Mais les intéressés ont le droit de comprendre ce qui est fait avec l’argent prélevé sur leur salaire. Il en va aussi de leur dignité d’adultes, qui travaillent, souvent durement et pour des salaires très modestes, pour assumer les frais de leur vie quotidienne. Et il revient aux services officiels de gérer ces questions de telle façon que les requérants et ceux qui les entourent puissent s’y retrouver, plutôt que de mettre tant d’énergie à disqualifier ceux qui cherchent à les aider.


Valais

Remboursement: double prélèvement

Depuis 1992, la législation fédérale prévoit que le requérant qui travaille verse 7%, puis dès 1995 10% de son salaire sur un compte de sûreté qui fait l’objet d’un décompte, lors de l’obtention d’un permis ou du départ de Suisse. Un forfait, fixé actuellement à Fr.8’400.- par personne, est alors prélevé pour rembourser les frais d’assistance reçue alors que le requérant était indigent. Lors de l’introduction de ce système, les dispositions transitoires de l’ordonnance d’application ont prévu que le remboursement effectué antérieurement au niveau cantonal serait déduit du forfait. Une règle qui montre bien que le compte de sûreté fédéral devait à l’avenir se substituer à tout autre système de remboursement. Le Valais, pourtant, a continué tout au long des années 90’ à effectuer des prélèvements sur les salaires parallèlement à la ponction de 7% puis 10% qui alimente le compte de sûreté fédéral. Bien que le code des obligations limite strictement les cessions de salaire, il s’agit en Valais d’une obligation imposée à tous les employeurs de requérants d’asile.

Le système manque totalement de transparence car il mélange deux choses très différentes: le relevé des frais d’assistance pendant la période où le requérant dépend de l’aide publique, et le paiement de prestations comme le logement, la caisse maladie ou les frais médicaux, qui continuent de transiter par l’Office d’aide sociale alors même que le requérant travaille et est à même d’assumer ses frais. En Valais, toutes ces données se retrouvent sur le même relevé. Et dans bien des cas, les prélèvements effectués sur les salaires ne se limitent pas à couvrir les prestations à la charge du requérant devenu indépendant, mais aussi les frais d’assistance antérieurs, dont le remboursement ne devrait pourtant plus relever que du compte de sûreté fédéral. En principe, les requérants ont la possibilité de signaler à l’ODR les remboursements cantonaux effectués pour les faire déduire du forfait fédéral qui leur est facturé. Mais la majorité, n’y comprenant rien, se trouve dans l’incapacité de faire rectifier leur décompte. Et pour ceux qui y parviennent, si le remboursement cantonal dépasse le forfait fédéral, pas question d’obtenir la restitution du surplus.

La moindre des choses que l’on pourrait attendre du canton, dans cet imbroglio, c’est qu’il informe lui-même l’ODR, systématiquement, et sans attendre le bouclement final qui ne peut plus être corrigé. Le décompte fédéral pourrait alors être établi dès l’obtention d’une admission provisoire, en tenant compte des prélèvements cantonaux.