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Notre regard

Allégements budgétaires | Pas d’assistance en cas de non-entrée en matière. Le grand saut dans l’inconnu

Dès le 1er avril, mais ce ne sera pas une plaisanterie, les modifications de la législation sur l’asile prises dans le cadre du programme d’allègement budgétaire 2003 entreront en vigueur. Avec à la clé ce que Monsieur Gerber a appelé un changement de paradigme: ceux qui quitteront les centres d’enregistrement (CERA) avec une non-entrée en matière, un tiers des cas, peut-être, seront laissés à eux-mêmes, sans être attribués à un canton pour y être assistés jusqu’au jour du renvoi. Que deviendront ces déboutés, que l’Office fédéral des réfugiés (ODR) espère voir «disparaître», faute de parvenir à organiser facilement leur renvoi? Mystère.

Face aux interrogations des cantons, qui ont critiqué ce projet parce qu’ils craignent que la disparition d’un système de prise en charge automatique en cas de non-entrée en matière (7’818 en 2003) ne se traduise par un chaos social, l’ODR a toujours répondu en prenant l’exemple des «disparitions» en fin de procédure (10’459 en 2003), qui ne suscitent guère de remous. Mais la différence est de taille. En fin de procédure, les requérants ont eu le temps de trouver leurs marques, et s’ils disparaissent, plutôt que d’attendre un éventuel renvoi, c’est que cette option leur paraît jouable.

Avec les non-entrées en matière, ce sont des requérants en début de procédure qui seront livrés à eux-mêmes, sans autre marge de manœuvre que d’aller solliciter l’aide d’un proche ou d’un compatriote pour survivre. Quitter la Suisse ne leur sera pas non plus possible sans moyens financiers.

Mise à la rue

Au fur et à mesure que les refus d’entrer en matière tomberont aux centres d’enregistrement, on se retrouvera donc avec un nombre croissant de sans domicile fixe. Et quand l’entourage sera parvenu au bout de ses possibilités, il ne leur restera que la délinquance de survie ou la mendicité, sans parler des problèmes de santé publique. C’est là qu’intervient le droit constitutionnel à un minimum d’assistance, dont personne ne sait bien par quelles démarches on y accède. Comme l’ODR prévoit de favoriser le dispersement de ces déboutés en leur donnant une carte journalière CFF à leur sortie du CERA, c’est surtout dans les grandes villes que ces cas devraient apparaître progressivement, à partir du mois d’avril.

Indemnisation ciblée

Pressé par les cantons de couvrir les frais de cette aide d’urgence constitutionnelle, l’ODR a effectivement prévu d’indemniser les cantons qui comptent les cinq plus grandes villes de Suisse (BE, BS, GE, VD, ZH) et ceux qui abritent un CERA (BS, SG, TG, TI, VD). Mais par contre coup, les dix-huit autres ne recevront rien, ce qui ne peut que les inciter à ne rien faire et pousser à une concentration d’autant plus problématique dans les grandes villes. Or, la charge d’exécuter les renvois reste répartie entre tous les cantons.

Procédé irresponsable

On pourrait donc bien assister à un jeu de ping-pong irresponsable, où chaque canton cherchera à renvoyer la balle ailleurs, si ce n’est que qu’il s’agira d’êtres humains. Seule alternative: un usage accru de la détention, autorisée sans retenue par la modification de loi pour toutes les non-entrées en matière. Mais avec huit mille cas par an, on voit bien que la saturation sera vite atteinte. A moins que cette mesure ne soit utilisée que pour quelques cas choisis arbitrairement, à titre de dissuasion. Le tout coiffé d’un «monitoring» censé permettre le bilan de cette expérimentation humaine grandeur nature sur la meilleure façon se débarrasser des laissés pour compte du droit d’asile.

Reste que ce nouveau système marque l’échec complet de la politique menée depuis quinze ans et qui visait à contrôler l’exécution du renvoi. Ne parvenant plus à obtenir de documents de voyage de certains pays, l’ODR préfère aujourd’hui pousser les déboutés à disparaître, quitte à rebondir par de nouvelles mesures de durcissement lorsque le public réagira aux effets pervers de ce laisser-aller. On peut compter sur l’UDC pour pousser dans ce sens.


Droit de recours entravé

Le droit de recourir pour faire corriger une décision erronée est fondamental, et la Déclaration européenne des droits de l’homme le consacre en exigeant qu’il soit «effectif». Dorénavant, pourtant, le délai de recours contre un refus d’entrer en matière sera limité à cinq jours, et les requérants resteront assignés à résidence au CERA pendant ce laps de temps, loin des centres urbains où ils pourraient trouver l’aide de compatriote ou d’un service juridique. Ne connaissant ni la langue, ni la législation, ceux-ci seront en pratique dans l’impossibilité de se défendre. Débordées, les maigres antennes juridiques des œuvres d’entraide créées à proximité immédiate des CERA ne pourront guère faire plus que de donner quelques conseils. L’article 29 de la Constitution fédérale prévoit clairement, pour de tels cas, une assistance judiciaire gratuite. Pourtant, les projets d’ordonnances d’application passent ce problème sous silence. Si rien ne change, tout ce dispositif sera clairement contraire aux droits fondamentaux. Mais il pourrait se passer des années avant que cela soit reconnu.