Aller au contenu
Notre regard

Départ | Jean-Daniel Gerber quitte l’ODR. L’homme de toutes les manipulations

Comme Vivre Ensemble l’annonçait dans son dernier numéro, avant même que soit connue l’élection de Christoph Blocher, Jean-Daniel Gerber quitte la tête de l’Office fédéral des réfugiés (ODR), et le poste de directeur de cet Office pourrait bien revenir à un homme de l’UDC. Pour l’heure, Gerber peut s’enorgueillir de ce qu’il faut bien appeler un exploit: quitter un poste aussi exposé en étant salué par une presse quasiment unanime comme un grand humaniste, qui n’aurait participé qu’à contre-cœur au durcissement du droit d’asile. Ultime tour de passe-passe d’un homme qui aura su jouer à la perfection des illusions de la communication.

Lorsque Gerber arrive à la tête de l’ODR, à la fin de 1997, la révision totale de la loi sur l’asile est déjà largement engagée. Mais c’est avec Gerber que cette révision sera musclée par arrêté urgent avec l’extension des clauses de non en matière, sous prétexte de lutte contre les abus. Parallèlement, et dès ses débuts, Gerber développera inlassablement une argumentation imparable pour justifier le durcissement du droit d’asile: nous sommes trop généreux par rapport au reste de l’Europe, il faut nous aligner par le bas sous peine d’être submergés de demandes d’asile.

A la clé de presque tous ses exposés, le Gerber des premières années exhibera un graphique du nombre de demandes d’asile en fonction du nombre d’habitants faisant croire que la Suisse avait trois fois plus de demandes que l’Autriche, cinq fois plus que l’Allemagne, quinze fois plus que la France et cinquante fois plus que l’Italie. Comment ne pas admettre la nécessité de durcir le droit d’asile face à une telle réalité? L’argument sera par la suite refilé par l’ODR aux parlementaires faisant campagne pour la révision de la loi sur l’asile, lors du référendum de 1999, et l’UDC s’en emparera pour porter son initiative à deux doigts de la victoire en 2002.

Statistiques truquées

Bien sûr, cette statistique est truquée. Elle englobe pour la Suisse les demandes d’admission provisoire, alors que les autres pays laissent certains groupes de réfugiés de la violence en dehors de la statistique de l’asile. En outre, le chiffre suisse est celui des personnes, alors que les autres pays ne comptent qu’une demande par famille. Estomaqué par cette manipulation, le soussigné a cherché à s’en entretenir avec Jean-Daniel Gerber, et il a eu l’occasion de lui en faire la démonstration à fin 1998. Rien n’y fit. Car à défaut d’être honnête, l’homme était habile. Il savait que l’argument était efficace et que son prestige de directeur de l’ODR lui permettrait toujours d’abuser les médias.

Stigmatisation des requérants

Ayant ainsi posé les bases d’un discrédit durable des requérants d’asile, toujours présentés comme abuseurs et envahisseurs, Gerber pouvait sans problème mettre en chantier une nouvelle révision de la loi sur l’asile allant encore plus loin que la précédente. Et transformer méthodiquement les centres d’enregistrement en centres de renvoi, en y multipliant les non-entrées en matière. Toujours, bien sûr, en s’appuyant sur tel exemple étranger, pour se déclarer contraint et contrit de devoir suivre le mauvais exemple.

Dégradation de la procédure

Au chapitre de la procédure d’asile, sans cesse dégradée, Gerber n’aura fait que marcher sur les traces de ses prédécesseurs. Mais ce diplomate qui aura si bien su rendre ses propositions présentables aux yeux des médias, était d’abord un économiste. Et c’est là que se révèle toute l’originalité de la pensée de Jean-Daniel Gerber, et son principal apport au démantèlement du droit d’asile: jouer sur les mécanismes financiers pour contraindre les cantons réticents à s’aligner et pour dissuader les réfugiés de trop s’attarder en Suisse.

Incitation aux renvois

Le seul texte d’envergure signé Gerber qui soit tombé dans le domaine public, s’intitule: «Incitations individuelles et institutionnelles dans le domaine de l’asile, rapport final du groupe de travail sur le financement du domaine de l’asile». En clair: il faut couper les vivres à tous ceux qui ne collaborent pas. Une idée que l’on retrouve dans la révision en cours de la loi sur l’asile, qui prévoit de ne plus rétribuer les cantons chargés d’exécuter les renvois que par un forfait unique, quelle que soit la durée de préparation du renvoi, ce qui les poussera aux méthodes les plus expéditives. Une idée qui trouve aussi sa concrétisation, au moment même où Gerber s’en va fier du travail accompli, dans l’entrée en vigueur, dès le mois d’avril, de mesures d’allègement budgétaire qui vont mettre à la rue des milliers de candidats à l’asile ayant reçu une non-entrée en matière. Publié en mars 2000, ce rapport sur les mesures d’incitations financières était un travail d’équipe. A côté de la signature de Jean-Daniel Gerber, on y trouve la signature de Rita Fuhrer, conseillère d’Etat UDC. Avec la nouvelle configuration politique, la continuité est assurée.