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Notre regard

Soleure | Intervention policière: Chronique d’un contrôle ordinaire

Fin octobre 2003, G. et K. se retrouvent à la gare de Soleure: ils viennent d’Olten où ils ont fait des courses dans un magasin bon marché tenu par une œuvre d’entraide. Il fait froid, la bise souffle. G. et K. décident d’attendre dans le passage sous-voie l’omnibus qui les ramènera dans le centre de transit où ils logent depuis quelques mois.

Un couple en civil s’approche d’eux. Tout à coup, ils se font assaillir par derrière, prendre à la gorge: «Police, il s’agit d’un contrôle d’identité, plaquez-vous contre le mur et levez les bras.» Abasourdis, surpris, les deux hommes obtempèrent. Les policiers les fouillent après leur avoir pris leurs papiers d’identité, et les avoir débarrassés de leurs cornets de victuailles. L’un des policiers téléphone. G. se retourne alors et demande s’il peut récupérer son papier d’identité. La femme lui enjoint rudement de se retourner à nouveau contre le mur et lui tord brusquement le bras dans le dos, pour lui passer des menottes. G. se libère, fait face à la fonctionnaire «Hey,what are you doing?». Une nouvelle tentative échoue, G. refuse d’être menotté.

Les choses se gâtent

Entre-temps, voyant que les choses se gâtent, le policier enchaîne K. à la rampe d’escalier pendant que sa collègue appelle du renfort: trois autres policiers en civil arrivent en quelques secondes. L’un d’eux, appelons le A., donne des coups de pied dans les genoux de G. pour le déséquilibrer, pendant que la femme tente de le pousser. Au deuxième coup, G. tombe. A. continue de frapper G., couché par terre, à coups de poings dans les reins. G., affolé se met à hurler, en anglais, «que faites-vous, vous voulez me tuer?»

Violences physiques

La fonctionnaire de police intervient et hurle à son tour «qu’est ce que vous faites en Suisse?» Entre temps un attroupement important s’est formé. Une passante – de couleur noire, comme G. et K. – intervient et parle avec les policiers qui la renvoient rudement. A. frappe l’homme à terre, qui hurle toujours, d’un coup de pied à la face, et pose son pied sur la tête de G. Finalement G. est menotté et remis sur pied, les mains attachées dans le dos dans un sac en plastique (le sang dégouline, les menottes trop serrées entament la peau). Il est poussé dans l’escalier remontant sur le devant de la gare, après qu’A. lui ait tiré le pullover sur son visage ensanglanté. G. ne voit rien et trébuche. Dans le car de police qui l’emmène au poste, G. est seul avec les policiers. Son collègue, également menotté est dans un deuxième véhicule.

Traité comme un criminel

G. proteste, demande «pourquoi me traitez-vous comme un criminel?» Tais-toi, lui répond A. Au poste, A. le déshabille complètement après lui avoir retiré ses menottes (les mains de G., enflées et engourdies ne lui obéissent plus). Voyant ses mains abîmées, G., se met à jurer, à traiter le policier de raciste. Celui-ci l’enferme, nu, dans une cellule sans fenêtre, après lui avoir confisqué outre ses habits et son cornet, son portable, une bague et la chaînette que G. portait à son cou. Après un certain temps, A. lui jette son slip par le clapet de la porte, enjoignant à G. de l’enfiler, puis de le suivre. G. prostré sur le lit, choqué, ne bouge pas. A. rentre, le prend par le bras et le conduit toujours nu, dans une autre cellule, où il est enfermé avec ses habits cette fois. Après quelques heures, ses mains fonctionnant à nouveau, G. remet t-shirt et jeans. Le pull, souillé, est inutilisable.

Emmenés en prison

A. revient vers minuit et enjoint G. de signer un papier (1) «ça, ça veut dire que vous ne pourrez plus séjourner sur le territoire de la ville de Soleure.». G. refuse de signer, alléguant qu’il n’a rien fait, et qu’il ne comprend pas l’allemand. A. insiste, menace de le garder jusqu’à l’obtention d’une signature. G. s’énerve et traite à nouveau le policier de raciste. A. repart puis revient sans un mot d’explication; froidement il gicle du spray au poivre dans les yeux de G. Puis K. et G. sont emmenés en prison, où ils passent la nuit dans deux cellules différentes. Celle de G. n’a pas de fenêtre. Ils sont relâchés le lendemain.

Répercussions négatives

K. et G. sont des requérants d’asile. Ils sont innocents et n’avaient pas de drogue sur eux, ce qui d’ailleurs est protocolé dans le rapport de police. Tous les deux ont été gravement traumatisés par le traitement subi, et ont de la peine à s’en remettre.

Pour K., qui a subi sans mot dire la procédure de contrôle, il n’y a pas d’autres conséquences. Pour G., le contrôle peut avoir des suites graves: frappé d’une interdiction de territoire pour les villes de Soleure et d’Olten, faisant l’objet d’une plainte pénale pour «violence et menaces contre des fonctionnaires», il va être classé dans la catégorie «requérants criminels», ce qui risque fort d’avoir des répercussions négatives sur l’examen de sa demande d’asile.

L’avenir est sombre

En effet, le dossier a été transmis immédiatement à l’Office des réfugiés (ODR), avant même qu’il n’y ait eu jugement. L’avocat, un homme pourtant engagé dans la défense des requérants, que nous avons mandaté pour sa défense a refusé le mandat: la cause est, d’après lui, désespérée: aucun témoin n’a pu être trouvé parmi les badauds (malgré un appel publié dans les journaux); les cinq policiers impliqués dans ce contrôle vont faire bloc et maintenir leur version des faits; G. est un violent qu’il a fallu maîtriser, d’où les blessures subies.

G. a demandé au juge d’instruction le droit d’être entendu en présence d’un interprète. Il n’a pas encore eu de réponse à ce sujet. La police a gardé son portable et sa bague, ne lui restituant que les spaghettis achetés à Olten et sa chaînette.


Note:

(1) Il s’agit du rapport de la police, intitulé Droit d’être entendu concernant les mesures d’éloignement, destiné à la police des étrangers. Curieusement ce «droit d’être entendu» contient en fait la déposition de la police et une phrase standard pré-inscrite: «Le droit d’être entendu lui a été accordé». Ce rapport intitulé «Contrôle de drogue ciblé» est rédigé en allemand et n’est jamais traduit à la personne arrêtée.