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Notre regard

Session parlementaire spéciale contre les étrangers | Une révision fondée sur le rejet

A peine la modification de loi sur l’asile décidée dans le cadre du programme d’allègement budgétaire entre-t-elle en vigueur, avec l’exclusion de l’assistance en cas de non-entrée en matière, que le charcutage du droit d’asile reprend à l’occasion d’une session spéciale des Chambres fédérales. Du 3 au 7 mai, celles-ci devraient en effet se prononcer sur la révision «ordinaire» de loi sur l’asile (LAsi) préconisée par le message du Conseil fédéral du 2 septembre 2002 (voir Vivre Ensemble, n°95, décembre 2003; Vivre Ensemble, n°90, décembre 2002; Vivre Ensemble, n°84, septembre 2001), ainsi que sur la révision «totale» de la loi sur les étrangers, dont certains volets touchent très directement au droit d’asile. Un héritage de Ruth Metzler, dont Christoph Blocher a maintenant la charge.

Une fois de plus, les atteintes au droit d’asile sont nombreuses dans cette énième révision, dont la principale nouveauté consiste à prononcer une non-entrée en matière pour tous ceux qui sont passés par un pays tiers «sûr». Jusqu’ici, la Suisse, qui a inventé la notion de pays «sûr» pour ne plus avoir à examiner en détail chaque cas individuel (une idée reprise depuis par de nombreux pays européens), ne l’appliquait qu’à des pays d’origine. En dressant à l’avenir une liste de pays tiers sûrs, qui englobera évidemment toute l’Europe, nos autorités veulent à l’avenir renvoyer aussi systématiquement que possible ceux qui auront transité par ces pays.

Accentuation des renvois

La Suisse étant au cœur de l’Europe, cela concerne potentiellement quasiment tous les requérants. Du fait des contrôles dans les aéroports, seuls 423 requérants sur 20’806 sont arrivés par la voie des airs en 2003. Une telle mesure, prônée par l’UDC dans sa dernière initiative, pourrait donc dispenser la Suisse de toute responsabilité à l’égard des réfugiés. Fort heureusement, elle n’est applicable que si nos pays voisins veulent bien reprendre les intéressés, ce qui est plus qu’incertain, car il y aura rarement preuve formelle du transit par leur territoire. L’application des accords de reprise signés bilatéralement restera donc le plus souvent lettre morte, de la même façon que les accords de Schengen et de Dublin n’ont pas changé grand chose aux flux de demandeurs d’asile à l’intérieur de l’Union européenne. Reste que ce dispositif, même s’il ne devrait finalement s’appliquer qu’à une petite minorité, conduira à des renvois en nombre accru, notamment pour tous ceux qui auront la naïveté de croire que le droit protège les honnêtes gens, et qui donneront tous les détails sur leur itinéraire.

Durcissement aux aéroports

La volonté de rejet à l’égard des réfugiés est d’autant plus manifeste qu’à côté de cette tentative de fermer la porte aux arrivées par voie terrestre, les arrivées aériennes sont aussi dans le collimateur. A l’avenir, la procédure menée à l’aéroport ne se limitera pas à un examen préalable et la rétention en zone de transit pourra être portée à soixante jours, avant de se prolonger en détention pure et simple. Parallèlement, le projet de loi sur les étrangers impose des amendes aux compagnies aériennes qui ne procéderaient pas à tous les contrôles voulus. Bref, le droit d’asile dira encore plus clairement à l’avenir que les réfugiés sont indésirables en Suisse, et que seuls ceux qui se montreront les plus habiles pourront espérer que leurs motifs seront pris en considération.

Taxe spéciale pour les requérants

Sur le plan financier, ce projet de loi simplifie le subventionnement des cantons par la Confédération à travers un système de forfaits. Mais dans le même temps, il ouvre la porte à des mécanismes qui pénaliseront les cantons qui seront moins expéditifs que d’autres pour l’exécution des renvois (voir Vivre Ensemble, n°91, février 2003). En outre, la nouvelle loi transforme le système des comptes de sûretés, dont l’Office fédéral des réfugiés (ODR) n’a jamais pu assurer correctement la gestion, spoliant ainsi des milliers de requérants, par un prélèvement fixe non remboursable sur tous les salaires des requérants. Et cela, jusqu’à concurrence de 12’000 francs. Une taxe spéciale sur l’asile qui n’a d’équivalent dans aucun autre pays.

Possibilités de détention renforcées

Au chapitre des mesures de contrainte (voir Vivre Ensemble, n°87, avril 2002), qui figurent dans la loi sur les étrangers, le projet n’est pas en reste avec la création d’une possibilité de détention fédérale de vingt jours en cas de décision de non-entrée en matière prise au centre d’enregistrement. La révision totale de la loi sur les étrangers y ajoute, en outre, une autre détention de vingt jours lorsque l’autorité aura dû elle-même se procurer des documents de voyage, ainsi qu’une extension de la détention en vue du refoulement ordinaire jusqu’à neuf mois, en cas de demande d’asile faisant suite à une interpellation. Le tout, avec un allègement des modalités de contrôle judiciaire. Encore faudra-t-il disposer de suffisamment de places de détention. Mais la tendance est bien là.

Collège à un juge!

Sur le plan de la procédure, le projet de loi pousse à bâcler un peu plus les décisions en resserrant les délais d’ordre. Mais le point le plus problématique a été rajouté par la commission préparatoire du Conseil national. Celle-ci veut supprimer l’examen des recours par un collège de trois juges, pour ne plus confier la décision qu’à «un collège (sic) composé d’un juge» ! Quand on connaît les divergences qui séparent les différents juges de la Commission de recours en matière d’asile (CRA), on voit déjà la loterie qui résultera de la répartition des dossiers entre juges répressifs et libéraux. Si l’on songe que le droit d’asile n’offre qu’un seul recours, au contraire de tous les autres domaines du droit, une telle «simplification», si elle était confirmée en plénum, ne ferait que livrer définitivement les requérants à l’arbitraire.

Et encore…

D’autres durcissements supplémentaires sont également prônés par la commission ad hoc, comme la négociation systématique avec les pays d’origine d’un accord de reprise, sous la menace d’une suspension de l’aide au développement. Un chantage dont il n’est pas certain qu’il sera accueilli avec enthousiasme par nos partenaires du tiers monde. Il faut en outre s’attendre à une tentative de la droite dure d’étendre à tous les déboutés du droit d’asile l’exclusion du système d’assistance aux requérants d’asile qui frappe depuis début avril les cas de non-entrée en matière. Une proposition déjà formulée par voie de motion, sans même attendre un bilan des mesures d’allègements budgétaires, et qui confirmerait bien la volonté de nos autorités de décider n’importe quoi sans même chercher à en évaluer les conséquences.


Révision: Deux points positifs

A bien chercher dans les dizaines de points négatifs de cette révision, on trouve tout de même deux points positifs, qui permettront sans doute aux porte-parole officiels de parler de projet «équilibré». Dans le prolongement des débats suscités par l’Appel de Zurich, la commission préparatoire propose en effet de mettre fin à l’interdiction de travailler qui vise actuellement les déboutés dont le renvoi est bloqué, en prônant la suppression pure et simple de l’art. 43 al. 2 LAsi. Une disposition tellement absurde que bien des cantons y font exception pour ne pas multiplier les cas d’assistance forcée.

En outre, face à l’accumulation de cas d’admission «provisoire» de longue durée, le Conseil fédéral propose de parler à l’avenir d’admission «pour raisons humanitaires» en cas d’illicéité ou d’inexigibilité du renvoi, et de favoriser l’intégration de ces personnes en leur donnant un accès plus large au marché de l’emploi, en finançant certaines mesures d’insertion, et en autorisant le regroupement familial de ceux qui seront devenus financièrement indépendants. Pour pousser les cantons à favoriser leur autonomie, la Confédération prévoit cependant de couper ses subventions sept ans après l’entrée en Suisse. Une contrepartie qui pourrait menacer cette modification, et qui ne supprime pas toute l’ambiguïté de ce statut, qui ne conduit pas automatiquement au permis B et qui sera soumis à l’avenir à une révision périodique susceptible d’entraîner la levée de l’admission.