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Notre regard

Loi sur l’asile | En avant toute pour de nouveaux durcissements: Christoph Blocher dans ses œuvres

Les naïfs qui croyaient que Christoph Blocher allait s’assagir, une fois élu au Conseil fédéral, peuvent aller se rhabiller. C’est au contraire avec une efficacité redoutable que «CB» a pris les choses en main. Et si cette révision a été préparée par le duo Metzler/Gerber, il entend bien y apporter sa marque afin de la durcir. N’ayant pas pu influencer les travaux préparatoires du National, bouclés en décembre, CB a déjà annoncé, sur une demi-douzaine de points, qu’il entendait bien se rattraper en faisant modifier le projet aux Etats. Le pire est donc encore à venir.

Pour l’heure, les débats au Conseil national, ont entériné tous les durcissements proposés initialement par le Conseil fédéral de Ruth Metzler:

  • Le renvoi aussi systématique que possible dans les pays tiers en jouant sur le label «pays sûr», les non-entrées en matière (NEM) et les accords de réadmission;
  • La transformation des aéroports en centres de procédure avec détention de soixante jours;
  • Le subventionnement des cantons par forfaits globaux, avec bonus-malus pour les obliger à atteindre les objectifs fixés par l’Office fédéral des réfugiés (ODR) et à exécuter les renvois aussi vite que possible;
  • Une taxe spéciale permettant de prélever jusqu’à 12’000 fr. sur les salaires des requérants, en plus de l’impôt à la source, afin de remplacer le système des comptes de sûretés qui obligeait à justifier les prélèvements;
  • La communication de données personnelles à l’étranger, même si la décision de renvoi fait l’objet d’un recours;
  • Le resserrement des délais de procédure, pour pousser à des décisions bâclées (le délai de cinq jours pour recourir après une NEM est bien sûr confirmé);
  • Une détention en vue du refoulement de vingt jours permettant aux centres d’enregistrement d’emprisonner les déboutés sans passer par les instances cantonales, si le renvoi est possible à court terme; et on en passe…

Et on en rajoute!

A cela, le Conseil national a rajouté, sur proposition de sa commission:

  • La récolte de données biométriques (à quoi une proposition du radical Philippe Müller a fait ajouter les expertises pseudo-scientifiques visant à déterminer l’âge des requérants);
  • Une clause ambiguë sur l’assignation dans un logement collectif dont les cantons «garantissent la sécurité»;
  • La possibilité de supprimer l’aide au développement des Etats d’origine qui ne collaborent pas au renvoi;
  • Et, cerise sur le gâteau, la transformation de la procédure de recours en loterie, selon que l’on tombe sur un juge libéral ou restrictif, un seul juge étant désormais appelé à trancher, au lieu de trois.
  • Le National a par ailleurs adopté également une motion demandant l’application, à tous les requérants déboutés, du système d’exclusion de l’aide sociale ordinaire actuellement en vigueur pour les NEM.

Petite touche d’humanitaire

Bien sûr, les réviseurs du droit d’asile n’ont pas oublié de se donner un alibi humanitaire en approuvant l’amélioration du statut des requérants admis provisoirement. Si la loi entre en vigueur, ceux-ci seront désormais admis «à titre humanitaire», avec un accès plus facile au marché de l’emploi, si les cantons veulent bien jouer le jeu; et une possibilité de regroupement familial supprimant le veto cantonal, mais seulement s’ils ont un revenu et un logement suffisant. Le principe d’une révision régulière du bien fondé des admissions est en outre ancré dans la loi. La proposition de la commission d’autoriser le travail en cas de suspension du renvoi dû à une procédure extraordinaire n’a en revanche pas passé la rampe.

Premier round seulement

Mais ce n’est que le premier acte. Véritable bête politique, CB a en effet compris tout le parti qu’il pouvait désormais tirer de ses nouvelles fonctions pour retravailler le projet à sa guise avec l’appui des spécialistes de l’ODR. D’ores et déjà, il a annoncé des «améliorations», telles que:

  • Une reprise de l’idée de centres fédéraux à caractère disciplinaire;
  • Une aide au retour pénalisant les entrées illégales ou les requérants sans papiers;
  • Une prolongation de la détention en vue du refoulement au-delà de neuf mois;
  • Et une redéfinition de l’admission à titre humanitaire (on devine dans quel sens).

Des idées en stock

Rendons justice à CB, il a aussi annoncé qu’il faudrait peut-être envisager une forme de recours en cassation, si le juge unique viole trop ouvertement le droit (c’est une bonne idée, ça. Les requérants, qui ne parviennent déjà pas à recourir eux-mêmes valablement, vont maintenant devoir passer un master de droit administratif pour maîtriser les arcanes de la cassation). En outre, grand seigneur, CB a consenti à dire, avec la gauche (qui s’appuyait ici sur le respect de la propriété privée !), que le prélèvement de la taxe spéciale sur les comptes de sûretés constitués jusqu’ici posait problème, s’il était effectué à titre rétroactif. Mais là, CB n’a pas été suivi par ses amis, et il s’est retrouvé, pour une fois, mis en minorité. On ne peut quand même pas être trop généreux!

Yves Brutsch


Persécutions non étatiques

Un pas en avant, deux pas en arrière

L’abandon de l’exigence de persécutions étatiques, dont l’ODR a reconnu à l’interne, en 2000 déjà, qu’elle était inévitable, vu l’isolement jurisprudentiel de la Suisse, fait l’objet de toutes les contorsions en marge de cette révision.

Dans son message, l’ancien Conseil fédéral s’est dit pour, tout en soulignant que cela n’impliquait pas une modification de la loi. Il revenait donc à la Commission de recours en matière d’asile (CRA), d’interpréter la loi en tant qu’instance judiciaire. Mais elle n’en a pas eu le courage. Le sujet est politiquement trop chaud. On s’attendait donc à ce que le législatif, en pleine confusion des pouvoirs, se mette à faire de la jurisprudence à la place de la CRA à l’occasion de la révision de la loi.

Las! Un radical bon teint en a parlé dans le débat d’entrée en matière, mais personne ne lui a fait écho. Et comme le parlement ne peut voter que sur un texte de loi, et pas sur son interprétation, il n’en a plus été question. Blocher, en ce qui le concerne, avait déjà donné sa réponse le 8 mars, répondant à une question de son compère Hans Fehr: «le Conseil fédéral suit attentivement l’évolution de la jurisprudence dans l’Union européenne, et il fixera la marche à suivre en temps voulu». En clair, ni le législatif, ni le judiciaire n’auront le dernier mot, mais bien le pouvoir exécutif. Montesquieu appréciera.