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Notre regard

Décision abusive | Refus d’entrer en matière: Même la torture ne compte plus

Alors que 30% des requérants se heurtent à un non-entrée en matière (NEM) et que nombre de cantons les dissuadent de demander l’aide minimale à laquelle ils auraient encore droit en mettant en prison ceux qui s’adressent à eux, on pourrait au moins espérer que l’Office fédéral des réfugiés (ODR) se donne la peine de prononcer ses décisions de NEM avec un peu de prudence. C’est hélas beaucoup demander à l’heure où le chef du Département fédéral de justice et police (DFJP) ne cesse de proposer de nouvelles atteintes au droit d’asile. Un requérant du Proche-Orient, atrocement torturé, vient d’en faire la triste expérience.

Arrêté après avoir participé à une manifestation d’opposants, transféré dans une caserne militaire, cet homme a livré, lors de son audition, un récit terrifiant.

«… Ils m’ont bandé les yeux, puis ils m’ont amené à l’interrogatoire. Puis tout de suite, le monsieur dont je vous ai parlé m’a frappé comme je vous ai dit et m’a dit: Tu dois dire la vérité. Il y a un monsieur qui a commencé à me poser des questions sur ma famille et sur toute ma vie, avec beaucoup de précision. [Plus tard:] C’était en criant. Il m’a dit Cela se voit que vous ne voulez pas parler, je vous montre comment vous allez parler. Il a dit Prenez-le!

Là, dès qu’il l’a dit, l’autre m’a fait sortir de force et il a commencé à me taper, dès qu’on est sorti de la chambre. Puis ils m’ont amené, je ne sais pas où, et puis il a commencé à me frapper, et j’ai senti qu’il y avait encore deux, trois personnes dans cette chambre, et ils ont commencé à me frapper. Ils frappaient tellement fort, surtout sur la tête que j’ai senti que les oreilles faisaient bzzz. Ils m’ont frappé avec les deux mains sur les oreilles, c’est pour ça que je n’entends plus bien maintenant. Ils m’ont mis dans un pneu. Ils m’ont mis comme ça, enfoncé dedans, et ils ont commencé à me frapper sur les jambes. Ils ont dit: Vous allez parler. Mais cela faisait mal, avec une canne en plastique, je ne sais pas quoi. Après je ne sentais plus rien. J’ai crié, ils m’ont ordonné de courir, mais je n’arrivais pas à courir.

Après, ils m’ont suspendu comme cela, à un bras, cela faisait terriblement mal, ils m’ont attaché avec un câble. Le câble avait des bouts de métal qui sortaient qui me griffaient partout. Ils m’ont enlevé mes vêtements, j’ai senti quelque chose de chaud, je ne sais pas comment vous l’expliquer. Ils m’ont brûlé le dos, une fois, deux fois, je ne me rappelle plus. Ils m’ont laissé descendre et puis ils… voilà. Après ils m’ont amené à la chambre, je n’arrivais plus à marcher. Et puis, à la porte, j’ai entendu quelqu’un qui a dit: Non, il y a trop de sang, amenez-le chez le médecin. […]

En fin d’après-midi, ils m’ont amené une deuxième fois chez ce monsieur là, mais je n’arrivais pas à marcher. Dès que je suis entré j’ai demandé: Pourquoi me faites-vous cela? Il m’a dit: Ce n’est pas vous qui posez les questions, c’est nous qui les posons. Vous êtes content ? Vous allez parler ? […]»

Sans faire la moindre allusion à ces tortures, la décision de non-entrée en matière prise par l’ODR au début de juin, et contre laquelle il a heureusement été possible de recourir dans le délai de cinq jours, estime que le requérant «décrit ses motifs de manière fortement stéréotypée et peu réaliste». Que reste-t-il du droit d’asile quand les autorités se permettent ce genre d’abus?

Yves Brutsch