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Notre regard

Révision de la loi sur l’asile | La Suisse est plus dure que l’UE

Une nette majorité politique a soutenu l’accord bilatéral qui permettrait à la Suisse de faire partie de l’espace Schengen/Dublin dans l’espoir de limiter encore le nombre des demandes d’asile en Suisse. Le paradoxe, c’est que cet intérêt pour l’Europe disparaît là où un alignement sur les normes de l’Union européenne (UE) nous obligerait à donner plus de droits aux requérants. Car c’est un fait: à ce stade, la Suisse, championne du durcissement du droit d’asile (voir article ci-dessous), ne respecte pas les minima européens.

Depuis de nombreuses années, l’Union européenne s’efforce d’harmoniser les politiques d’asile de ses membres. Quatre directives sont déjà sous toit:

  • sur la protection temporaire en cas d’afflux massif,
  • sur les conditions d’accueil des demandeurs d’asile,
  • sur la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande (Dublin),
  • sur les conditions d’obtention du statut de réfugié.

Une cinquième directive, relative à la procédure, est à bout touchant.

Apparemment bien avancé, ce processus d’harmonisation reste pourtant embryonnaire à ce stade de par le caractère vague et peu contraignant de certaines normes. Plusieurs d’entre elles sont néanmoins clairement plus favorables aux requérants que ce que prévoit notre loi actuelle et le projet de révision.

Exemple à suivre

Dans sa définition du réfugié, l’UE admet les persécutions non étatiques (voir Vivre Ensemble, no 90, déc. 02, p. 17). Au chapitre de la procédure, elle prévoit une assistance juridique. Dans sa définition des pays «sûr», elle est beaucoup plus exigeante que la Suisse. Notre pratique de non-entrée en matière devrait aussi être assouplie pour correspondre à la procédure européenne pour demande manifestement infondée, et le durcissement prôné par Christoph Blocher contre ceux qui ne présentent pas de papiers d’identité creuserait encore l’écart. Pas question non plus, pour l’UE, de contacter le pays d’origine pour préparer un renvoi alors qu’il subsiste une possibilité de recours.

Meilleure protection en Europe

Sur le plan social, la «protection subsidiaire», dans l’UE, prévoit un accès au marché de l’emploi et des aides sociales presque équivalentes à celles des réfugiés reconnus. En Suisse l’admission provisoire est calquée sur le statut des requérants, et son amélioration en admission pour motifs humanitaires est contestée. Les mineurs jouissent aussi d’une meilleure protection dans l’UE.

En bref, la Suisse qui a constamment poussé au durcissement du droit d’asile, est maintenant à la traîne derrière l’UE en matière de protection des réfugiés.

Yves Brutsch


De l’ODR à l’ODM

25 ans au service du durcissement

L’Office fédéral des réfugiés (ODR) n’est plus. Depuis le 1er janvier, l’asile est désormais englobé dans l’Office fédéral des migrations (ODM) dirigé par Eduard Gnesa, ex-patron de l’ex-Office fédéral des étrangers (IMES). L’occasion pour Asylon, ex-revue de l’ODR, de tirer sa révérence avec force regards sur le passé, anecdotes et réflexions. Parmi les motifs de satisfaction, cette grande fierté: la Suisse a donné plusieurs fois des impulsions majeures pour la politique d’asile en Europe. En bref: l’Europe forteresse, c’est grâce à nous. Voilà qui nous change des faux prétextes d’un Jean-Daniel Gerber (ex-directeur de l’ODR) qui expliquait toujours le durcissement en Suisse par l’obligation de faire comme les autres.

C’est d’abord la porte-parole de l’ODR, Brigitte Hauser Süess, qui le souligne dans son éditorial:

«La Suisse a toujours joué un rôle de précurseur, comme par exemple pour le concept de pays sûrs et pour l’aide au retour».

Urs Hadorn, dernier directeur ad intérim, et véritable garant de la continuité de l’ODR, puisqu’il était déjà le chef de la première équipe (17 personnes en 1981, 640 en 2004) complète: lorsque le Haut-commissaire Jean-Pierre Hocké refusa de tenir compte des considérations de politique intérieure des pays d’accueil, quelques pays (dont la Suisse) organisèrent une concertation inter-étatique en excluant le Haut commissariat aux réfugiés (HCR) de leurs discussions.

Pas de quoi être fier

Par la suite, comme l’explique l’ancien Délégué aux réfugiés Peter Arbenz: «pendant de nombreuses années, nous étions même la locomotive et le cerveau innovateur au sein des consultations informelles (…). Et lorsque ce processus menaça de capoter, nous avons fondé avec l’Autriche le Centre international pour le développement de la politique d’asile (ICMPD)». Un think thank d’où sortiront de nombreuses idées pour mieux fermer l’Europe aux réfugiés.

Les fameux pays «sûrs»

Le numéro se termine sur un article consacré à ce magnifique «concept international des pays sûrs» qui permet de ne plus avoir à examiner sur le fond les demandes d’asile. Curieusement, il n’est pas question dans ce dernier texte des 60’000 morts dans des affrontements survenus en Inde depuis que ce pays est «sûr», ni du coup d’Etat Gambien, ni de la guérilla en Casamance (Sénégal), ni de l’amorce de la guerre civile en Algérie au début des années 90’ ou de la reprise du conflit angolais, à fin 1992, alors que la Suisse venait d’y renvoyer des centaines de requérants, leur pays ayant été déclaré «sûr».

Quant à la Bosnie, pays «sûr» lui aussi, on sait bien que les milliers de soldats des forces internationales qui y stationnent ne sont là que pour faire du tourisme.

Yeb