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Notre regard

Témoignage | Renvoi d’une veuve bosniaque et de ses enfants. Pas d’avenir sans aide extérieure

Juillet 2004, la population des Montagnes neuchâteloises est fortement émue par une décision d’expulsion à l’encontre de Fahreta O. une jeune lycéenne de dix-sept ans, de sa mère, veuve de Sebrenica, et de son frère Nihad âgé de seize ans, également scolarisé dans le canton depuis plusieurs années. La mobilisation est alors impressionnante: en trois jours, une pétition réunit plus de 5’000 signatures. Le Conseil d’Etat refuse cependant d’entrer en matière et la famille est renvoyée. Elle s’installe à Sarajevo. A l’heure où la question des renvois est brûlante dans le canton de Vaud, il nous a paru intéressant de montrer ce qu’il est advenu de cette famille renvoyée en Bosnie.

Le renvoi de Fahreta et sa famille n’a pas découragé les initiateurs et initiatrices de la pétition. Un comité de soutien s’est constitué, en particulier pour assurer un suivi quant à l’avenir professionnel de ces jeunes, en Bosnie si cela est possible, sinon en entreprenant des démarches pour un retour en Suisse avec permis d’étudiant.

En octobre 2004, un membre du comité s’est rendu à Sarajevo afin de mieux connaître la situation sur place. De son récit de voyage, dont nous livrons des passages ci-dessous, il ressort clairement que toutes possibilités réelles de réintégration sont illusoires sans l’apport d’une aide extérieure suffisamment conséquente.

Accès aux études

Après des semaines d’insécurité après leur arrivée à Sarajevo, Fahreta a finalement été admise au lycée et Nihad dans une école technique. Ce qui était à craindre s’est effectivement produit. La grande difficulté à laquelle se sont heurtés ces jeunes est due à leurs lacunes dans leur propre langue, étant donné la durée de leur exil et le fait qu’ils n’avaient jamais été scolarisés dans leur pays. Aucun cours de rattrapage n’est organisé dans leurs écoles respectives. Farheta, bien que très bonne élève, ne peut en même temps écouter les cours et prendre des notes. De retour à la maison, elle doit passer une bonne partie de la soirée à recopier les cahiers d’une camarade avant de pouvoir commencer à apprendre. Etant une élève très volontaire, elle devrait s’en sortir progressivement. La situation est par contre plus délicate pour son frère et son avenir scolaire semble plus incertain.

Une aide financière vite épuisée

L’aide au départ donnée par le canton de Neuchâtel, ainsi qu’une partie de l’argent récolté lors de la remise des maturités au lycée de La Chaux-de-Fonds, ont permis de faire face aux premiers besoins: déménagement depuis la Suisse, frais administratifs pour l’obtention de papiers d’identité en Bosnie et des certificats d’inscriptions scolaires, nourriture des premiers mois et achat du bois de chauffage pour l’hiver. Mais après?

Un avenir bien précaire

Mme O. ne pouvait toucher sa rente de veuve qu’à partir du mois de novembre. En fait, cette rente n’a été versée qu’au mois de décembre, avec un montant minimum, correspondant à environ 100 francs suisses. Cette somme est inférieure à celle promise au départ. Si on essaie d’évaluer le pouvoir d’achat, il faut savoir qu’un kilo de pommes coûte 0,95 franc, un kg de tomates 1,45 francs, un abonnement de tram 10,40 francs par mois et un livre d’école entre 8 et 16 francs. Quant au loyer mensuel d’un très petit appartement, il se situe entre 110 et 160 francs. Le prix de l’eau et de l’électricité ont encore augmenté au cours de ces dernières semaines.

Un hébergement provisoire

Pour l’instant, la famille O. a la possibilité d’occuper des locaux très exigus et rudimentaires dans une maison en construction, appartenant à des membres de sa famille. C’est une aide importante pour eux, mais jusqu’à quand cette possibilité durera? De toute évidence, la rente de Mme O. ne permettra pas de faire vivre sa famille. De plus, cette femme n’a aucune formation professionnelle. Trouver un travail rémunéré lui sera pratiquement impossible vu le taux de chômage existant en Bosnie. Femme seule, avec des enfants à charge, comment pourra-t-elle s’en sortir sans une aide extérieure, assurée sur le long terme? Jusqu’à quand le comité de soutien pourra-t-il fournir à lui seul, l’appui nécessaire?

En dépit d’une action citoyenne courageuse, personne ne peut affirmer que cette famille ne se retrouvera pas un jour ou l’autre dans une situation de grand désarroi. Malheureusement, il sera un peu tard pour le constater!

Danielle Othenin-Girard