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Notre regard

Témoignage | Permis N: une vie dans l’attente et la précarité. Et que deviendra le chat?

Quitter son pays d’origine, laisser ses proches et ses biens pour se réfugier dans un autre pays est déjà une démarche difficile. Mais la longueur de l’attente d’une réponse à sa demande d’asile, le déni des motifs d’asile exposés et des souffrances vécues, ainsi que la non-reconnaissance des droits élémentaires viennent se rajouter à la difficulté de l’exil. Le témoignage qui suit de cette mère de trois enfants qui a été requérante d’asile durant cinq en Suisse et doit actuellement quitter le territoire, montre à quel point le statut de requérant est fragilisant et comment les tracas du quotidien vous ramènent sans cesse à votre précarité. Ce texte est extrait d’un article publié en 2004 par trois psychologues de l’association Appartenances dans la revue Psychothérapies. (réd.)

Quand on est requérant d’asile et qu’on a un permis N, on ne peut pas oublier ce statut. Nous sommes confrontés à cette réalité chaque jour. Une chose, qui pourrait paraître banale pour vous, devient un cauchemar et une nécessité de se battre pour nous. Le pire moment de la journée, c’est quand le facteur doit venir. Une demi-heure avant, le cœur commence à battre plus fort, l’angoisse s’installe. Qu’est-ce que le facteur pourrait bien nous amener aujourd’hui? Le premier souci des enfants quand ils rentrent de l’école est de savoir quel courrier on a reçu dans la boîte aux lettres. Je peux même dire que c’est encore plus difficile pour les enfants, parce que c’est eux qui lisent le courrier et nous le traduisent. C’est eux qui apprennent les nouvelles en premier.

Une santé qui se dégrade

Il ne faut pas croire que cette situation me fait plaisir et que je l’ai choisie par facilité. Je fais beaucoup d’efforts pour apprendre le français, le problème c’est que j’ai une dépression importante depuis que je suis en Suisse. Au début cela ressemblait plutôt à une espèce de nostalgie, mais avec la première réponse négative à notre demande d’asile, je me suis sentie plus mal. Plus le temps passait et plus on mettait en doute notre vécu, plus ma santé se dégradait. Comment peut-on mettre en doute ce qui m’est arrivé?

Une situation qui se péjore

Ce doute me torture encore plus que ce que j’ai vécu chez moi. Plus ma dépression augmentait, plus je me sentais désespérée. J’ai fait une tentative de suicide. Le pire, c’est quand je vois mes enfants souffrir. Ma fille aînée a fait également une tentative de suicide à l’age de seize ans. Nos relations dans la famille se sont dégradées. Les enfants faisaient des reproches à leur père d’avoir eu des activités politiques, ce qui nous a obligés à quitter le pays et à vivre tant d’humiliations à l’étranger. Tous ces reproches ne sont pas faciles à entendre pour mon mari. Il souffre seul dans son coin et sa fierté l’empêche d’en parler.

Un quotidien semé d’embûches

En tant que requérants d’asile, nous ne pouvons pas bénéficier d’un abonnement téléphonique (mobile ou fixe), nous ne pouvons pas avoir accès à un travail, parce qu’aucun patron ne veut prendre le risque d’engager quelqu’un dont le permis se renouvelle parfois chaque deux ou quatre semaines.

Des petites humiliations

Je vous parlais, tout à l’heure, des choses banales. Je vais vous donner quelques exemples. Nous avons des voisins très aimables qui se sont pris de sympathie pour nous. Ils ont acheté un nouvel appareil vidéo, alors ils nous ont donné leur ancien. Les enfants étaient heureux. Ils sont allés au vidéo club du quartier pour s’inscrire et emprunter des cassettes. Ils sont rentrés à la maison en pleurs. On avait refusé leur inscription, parce qu’ils ont dû présenter leur permis N. Non, ce n’est pas possible, pas de possibilité d’emprunter des cassettes avec un permis N. L’humiliation était à son comble pour les enfants dans ce vidéo club, tout le monde les regardait comme des êtres bizarres, comme des voleurs à qui l’on ne peut pas faire confiance. Bien sûr, nous avons vécu la même histoire pour les inscrire à la bibliothèque.

Des réactions qui blessent

Mais le pire, c’était quand même lorsque nous sommes allés à la SPA (Service de Protection des Animaux) pour prendre un chat. Les enfants étaient heureux, impatients d’avoir leur chat. Nous avons choisi un petit chaton adorable. Quand nous sommes passés vers la personne responsable pour remplir les formulaires, elle nous a demandé un papier d’identité.

Lorsque nous lui avons présenté notre permis N, elle a changé de ton et elle nous a dit qu’elle ne pouvait pas prendre le risque de nous donner ce chat à cause de notre statut. En face des pleurs des enfants, la seule chose qu’elle a réussi à nous dire c’était «que deviendrait ce pauvre petit chat si vous deviez rentrer dans votre pays!»

Extrait de «Un improbable refuge. Les répercussions sur la santé mentale des procédures en matière d’asile», Marulla Hauswirth, Assal Momeni Canellini, Nathalie Bennoun. Paru dans Psychothérapies, Vol. 24, 2004, No 4. A commander à Vivre Ensemble.