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Notre regard

Délinquance | Statistiques des infractions commises par les requérants. Beaucoup de chiffres, peu de clarté

Seules 6% de personnes privées d’assistance après une non-entrée en matière (NEM) ont été appréhendées à la suite d’une infraction signalait l’Office fédéral des migrations (ODM) le 18 avril. L’exclusion de l’aide sociale n’aurait donc pas contribué à aggraver la situation en matière de sécurité, claironne-t-on, alors que les Chambres doivent se prononcer sur la généralisation de cette mesure. Las: les chiffres sont bidon. Une autre étude publiée par une commission parlementaire fait état de taux de délinquance de 28% et 35% pour certains groupes de requérants. Des chiffres qui sont à prendre, eux aussi, avec des pincettes. La vérité, dans ce domaine, est en effet bien difficile à saisir.

Voir Christoph Blocher et ses services minimiser les problèmes posés par la délinquance de certains demandeurs d’asile n’est pas chose courante. Le taux de 6% de délinquants parmi les cas de NEM, mis en évidence par le dernier «monitoring» de l’ODM est évidemment une aubaine pour répondre à ceux qui dénoncent l’exclusion de l’aide sociale, et qui craignent qu’elle ne pousse nombre des personnes laissées à la rue vers diverses formes de délinquance de survie.

Mais à y regarder de plus près, ce taux de 6% est trompeur. Il est basé sur le nombre de personnes frappées de NEM entre le 1er avril et le 31 décembre 2004 qui ont été interpellées durant la même période. En pratique, ces personnes n’ont vécu que quatre mois en moyenne en tant que NEM, de sorte qu’il faut tripler le taux de 6% pour obtenir un taux annuel, correspondant aux statistiques usuelles. On arrive donc déjà à 18%!

Débat manipulé

Mais ce n’est pas tout. Le «monitoring» officiel n’a retenu que les infractions liées à la loi sur les stupéfiants et aux délits contre le patrimoine, et le taux de délinquance est calculé comme si le 100% des déboutés restaient en Suisse. De surcroît, les victimes de NEM font appel en premier lieu à la solidarité de leurs compatriotes. Ce n’est donc pas dès les premiers mois que la délinquance de survie se développe le plus fortement. Il y a par contre fort à craindre qu’elle ne s’accroisse avec le temps. La réalité de la délinquance après suppression de l’aide sociale risque donc de se chiffrer bien au-delà de 20%. En ne présentant aux parlementaires qu’un «monitoring» limité aux premiers mois d’exclusion de l’assistance, l’ODM manipule une fois de plus le débat.

Nouvelle étude

D’autres chiffres portant sur la délinquance apparaissent en marge du récent rapport d’évaluation sur les mesures de contrainte, dont il a surtout été retenu par les médias que la détention en vue du refoulement, instituée il y a dix ans, coûtait très cher pour un résultat plutôt médiocre. Dans une annexe de ce rapport, l’Institut de criminologie de l’Université de Lausanne montre que, sur un échantillon de requérants attribués en 2001 et 2002 dans les cantons de Genève et Zurich, 28% sont «connus de la police» dans le premier et à 35% dans le second. De là à dire qu’il y a un tiers de délinquants parmi les requérants d’asile, il n’y a qu’un pas, que certains milieux n’hésiteront pas à franchir lorsque le moment leur semblera opportun.

Lisibilité problématique

Une fois de plus, hélas, la lisibilité de ce genre d’étude pose problème. Tout d’abord, l’étude menée en été 2004 cumule les interpellations pendant deux à trois ans. Ensuite, l’échantillon en question n’a porté que sur des hommes, le plus souvent jeunes, et il se limite à deux cantons urbains. Des critères dont on sait qu’ils donnent des taux plus élevés que la moyenne générale. En outre la notion de requérants «connus de la police» est évidemment beaucoup plus large que celle des condamnations pour des délits avérés. Toute comparaison avec des taux annuels portant sur les requérants d’asile en général (on parle habituellement de 5 à 10% de délinquants) est donc exclue.

Bonnes nouvelles

Deux indications tirées de cette étude valent pourtant la peine d’être retenues. On y relève d’abord que «les délits que l’on peut qualifier de grave sont rares». En outre, et c’est peut-être là l’essentiel, plus de trois quarts des enregistrements de police se produisent durant la première année de séjour. Les infractions diminuent ensuite chaque année de moitié.

Comment ne pas voir ici la preuve que les demandeurs d’asile ne sont pas des délinquants par nature ? Si certains se livrent à des infractions alors qu’ils n’ont pas encore pris leurs marques dans notre société, le processus d’adaptation joue pleinement son rôle dans la durée. Sans doute pourrait-on même éviter nombre de délits si une véritable politique d’accueil était mise sur pied, et si la possibilité de travailler était valorisée dès le départ. Pousser les déboutés à la rue en les privant de l’aide sociale ne pourra par contre qu’engendrer le résultat inverse.

Yves Brutsch