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Notre regard

LAsi | Révision: Une loi qui tourne le dos à l’asile

La loi qui va sortir du processus de révision engagé depuis plusieurs années est d’ores et déjà critiquée par le Haut commissariat aux réfugiés des Nations Unies comme l’une des plus sévères. De fait, certaines de ses dispositions menaceront directement de renvoi des personnes qui jusqu’ici trouvaient protection en Suisse. D’autres multiplieront les discriminations et les atteintes à la liberté personnelle. La suppression généralisée du droit à l’aide sociale poussera les déboutés dans la clandestinité. En amont, tout sera fait pour que les réfugiés n’arrivent pas jusqu’à nous. En théorie, la Suisse, gardienne de la Convention de Genève sur les réfugiés, continue de dire son attachement au droit d’asile. Mais en pratique les réfugiés sont des indésirables. L’asile oui, mais par chez nous.

On le sait, le Conseil des Etats avait fait l’essentiel du travail à la session de mars, en acceptant toutes les propositions introduites à la hussarde dans cette révision par Christoph Blocher. Le National a entériné et l’essentiel des modifications apportées à la loi, sur des dizaines d’articles, sont désormais approuvées par les deux Chambres. Restent quelques divergences sur lesquelles il est probable que les Etats s’aligneront. Au final, cette révision placée sous le signe des abus devient elle-même abusive. Car les dispositions qui voudraient frapper les fraudeurs sont ainsi conçues qu’elles visent en pratique tout le monde.

Réfugiés en danger

La clause de non-entrée en matière (NEM) pour les requérants qui ne peuvent présenter de documents d’identité à l’arrivée est ici symptomatique. Car un requérant sans papiers peut aussi bien les avoir cachés que se les être fait confisquer dans son pays. Jusqu’ici la loi faisait la différence en interdisant la NEM si des «indices de persécution» ressortaient de l’audition. Désormais, on pourra renvoyer les réfugiés dont le cas présente des indices de persécutions… Il n’y aura d’exception que si l’audition révèle dès le début un cas d’asile manifeste ou la nécessité de mesures d’instruction complémentaires. La belle affaire: 496 personnes ont obtenu l’asile en 2004 (regroupement familial mis à part). Mais il n’y a eu que 30% de cas suffisamment manifestes pour être tranchés dans les deux mois, et seules 47% de ces décisions positives ont impliqué des mesures complémentaires, d’ailleurs souvent ordonnées bien après l’audition. Désormais, ces réfugiés passeront à la trappe s’ils ne présentent pas dans les 48 heures un passeport ou une carte d’identité (tous les autres papiers ne comptent plus, pas plus que ceux qui seraient présentés tardivement).

La détresse, un abus?

La volonté de renvoyer le maximum de personnes, même celles qui n’ont commis aucun abus, est évidente avec la suppression de l’admission pour «détresse personnelle» en cas de renvoi après une longue intégration. L’Office fédéral des migrations (ODM) et la Commission de recours (CRA) pouvaient ainsi renoncer à l’exécution du renvoi si la procédure avait duré plus de quatre ans. A l’entrée en vigueur de la loi révisée, en 2007, ce sera terminé. Seuls les cantons pourront encore proposer un permis pour cas de rigueur, mais seulement après plus de cinq ans. Ils pourront certes le faire même après la clôture de la procédure. Mais c’est l’ODM qui décidera. En outre l’application de la circulaire Metzler a bien montré que seule une poignée de canton est intéressée à faire ce genre de proposition de régularisation. La loterie sera totale.

Traités comme des parias

Durant tout son séjour, le demandeur d’asile sera traité comme un suspect, soumis de façon discriminatoire à diverses mesures de contrôle. Obligation de se soumettre à la collecte de données biométriques, perquisitions sans contrôle judiciaire, expertises visant à déterminer son âge. Débouté, il pourra être laissé à la rue, n’ayant plus droit qu’à une aide d’urgence minimaliste, que certains cantons cherchent même à éluder. La loi ne fait pas une règle absolue de l’exclusion de l’aide sociale pour les déboutés, dès lors qu’elle se contente de régler l’indemnisation des cantons par un forfait unique. Mais on voit mal les cantons décider de poursuivre l’aide sociale à leur frais, sauf pour quelques cas particuliers. Le régime appliqué en cas de NEM, et déjà souvent dénoncé dans Vivre Ensemble, va ainsi frapper trois fois plus de monde.

Détention pour tous

Au chapitre des mesures de contrainte, la diabolisation dont sont victimes les requérants se concrétise lourdement. La détention en vue du refoulement est prolongée et elle sera désormais doublée d’une possibilité de détention pour insoumission visant tous ceux dont le délai de départ sera échu. Au total, cette détention administrative pourra aller jusqu’à 24 mois. Une durée, totalement disproportionnée en dehors d’une condamnation pénale. Le contrôle judiciaire dans les 96 heures est retardé jusqu’au douzième jour si l’intéressé «a donné son consentement écrit» ! Pour bien faire, une détention spéciale de vingt jours peut être ordonnée par l’ODM en cas de renvoi depuis le centre d’enregistrement. Une rétention policière de 72 heures est aussi possible pour toute démarche de procédure, ainsi qu’une détention de soixante jours lorsque le canton se sera procuré les documents de voyage. Enfin, tout débouté pourra se voir interdire de quitter un certain territoire, sous peine de… trois ans de prison! Une panoplie inouïe, qui fera certainement les beaux jours des cantons répressifs, sachant que Zurich a mis cent fois plus de personnes en prison que Genève entre 2001 et 2003.

Rendre la Suisse inatteignable?

Force est de constater, à teneur de cette loi, que les demandeurs d’asile sont des indésirables, qu’il faut traiter comme des criminels. L’idéal, pour les tenants de cette politique serait bien sûr qu’ils ne puissent pas gagner le territoire national. A ce chapitre, des amendes sont prévues pour les compagnies aériennes qui manqueraient de vigilance, et la procédure d’aéroport permet désormais une rétention de soixante jours, de façon à pouvoir rejeter la demande sans laisser entrer l’intéressé. La voie des airs ainsi verrouillée, il faut se souvenir que dès le début de la révision de la loi, une clause de non-entrée en matière pour passage par un pays tiers a été adoptée. Jusqu’ici il fallait que le requérant s’y soit arrêté au moins vingt jours dans un autre pays. Dorénavant un simple transit suffit, si ce pays tiers est déclaré sûr et qu’il accepte la reprise sur la base d’un accord bilatéral. Vis-à-vis des pays européens, le dispositif «Dublin II» viendra se substituer à cette clause lorsqu’il entrera en vigueur. Mais la loi suisse va au delà. On a déjà connu par le passé des renvois dans des pays tiers comme l’Egypte ou l’Afrique du Sud qui se sont terminés en prison.

Face à ce nouveau dispositif, les requérants seront obligés d’inventer de nouveaux stratagèmes pour masquer leur itinéraire, et on aura beau jeu de dénoncer les abus. Et si le véritable abus était d’utiliser notre position géographique pour nous débarrasser du problème sur les autres?

Yves Brutsch


L’asile sans papiers? Venez avec une vidéo!

«La Suisse accueillera toujours les vrais réfugiés». Depuis 20 ans, c’est derrière cette promesse lénifiante que le droit d’asile est systématiquement démantelé. Le 30 septembre 2005, dans Le Temps, le porte-parole de l’ODM, Dominique Boillat, va encore plus loi dans le cynisme. Ceux qui n’ont pas de papiers d’identité peuvent en effet échapper à la non-entrée en matière (NEM), explique-t-il, s’ils rendent d’emblée manifeste leur qualité de réfugié. «La personne peut, par exemple, présenter une cassette vidéo qui démontre qu’elle a été brutalisée par des policiers». Une vidéo de scènes de tortures? Mais c’est bien sûr! Comment ceux qui fuient leur pays sont-ils assez bêtes pour ne pas demander à leurs tortionnaires la preuve de leurs exactions?


Trois inconnues. Dernier round aux Etats

Au moment de boucler ces lignes, plusieurs inconnues subsistent dans la révision de la loi sur l’asile. Dans le cadre de l’élimination des divergences, le Conseil des Etats peut en effet encore imposer trois mesures de durcissement supplémentaires. La plus grave porte sur une redéfinition plus restrictive de l’inexigibilité du renvoi, qui donne droit chaque année à plusieurs milliers d’admissions provisoires (la notion de «danger concret» risque d’être limitée au seul «danger pour l’existence»). La deuxième exclurait aussi de l’aide sociale ceux qui demandent la révision ou le réexamen d’une décision négative et qui obtiennent de l’autorité le droit de séjourner légalement en Suisse. La troisième instituerait une médecine à deux vitesses en autorisant la réduction des prestations d’assurance maladie pour les seuls demandeurs d’asile.

Yves Brutsch