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Notre regard

Procédure | Centres d’enregistrement: 60 jours au CERA, c’est trop!

Depuis le 1er avril, les séjours au centre d’enregistrement pour requérants d’asile (CERA), point de passage obligé des nouveaux arrivés, peuvent désormais se prolonger jusqu’à soixante jours. Fort de sa présence à Vallorbe. Le Service d’aide juridique aux exilés (SAJE) avait pourtant dans un récent rapport multiplié les mises en garde, et les critiques ne manquaient pas contre ces lieux de semi-détention. A quoi faut-il maintenant s’attendre?

Prolongement administratif des délais de séjours jusqu’à soixante jours, promiscuité, restriction des libertés personnelles, fouilles systématiques au corps, limitation des compétences des services de conseil juridique pour garantir une procédure équitable, accès minimum aux soins médicaux, absence d’une prise en charge psychologique… Le SAJE n’y va pas avec le dos de la cuillère pour dénoncer les fonctionnements des centres d’enregistrement des requérants d’asile de la Confédération: Vallorbe, Kreuzlingen, Chiasso, Bâle.

Zones de non-droit

Des traitements qui outrepassent largement les lois du pays et violent des dispositions du Conseil européen des droits de l’homme (CEDH) dont la Suisse est membre. Si la quasi-totalité des écueils relevés par le SAJE sont des pratiques connues depuis des années, les récentes mesures prolongeant le délai de séjour jusqu’à soixante jours aggravent tous ces problèmes. Centres de semi-détention, les CERA deviennent de plus en plus des zones de non-droit dans un pays de droit. Ces nouvelles dispositions dont un des prétextes avancés est de faire des économies, entachent davantage le tableau suffisamment sombre de la procédure d’asile en Suisse.

Porte ouverte aux dérapages

Cette situation laisse perplexe les juristes du SAJE qui craignent que le vide juridique laissé par la LAsi qui ne mentionne guère le nombre de jours que doit passer le requérant d’asile dans un CERA, ne devienne la porte ouverte à tous les dérapages: «A fortiori donc, il n’existe pas de base légale suffisante pour contraindre les requérants d’asile à un régime de semi-détention pendant soixante jours», remarque le rapport. «Le Département fédéral de justice et police édicte des dispositions relatives aux centres d’enregistrement afin d’assurer le bon fonctionnement et de garantir une procédure rapide (art. 26 alinéa 3 et art 20 alinéa 3 LAsi). Le département réglemente en particulier les heures d’ouverture, le droit d’accès, les conditions d’entrée et de sortie ainsi que la garde des objets appartenant aux requérants d’asile (art. 20 de la LAsi).»

Mesures trop contraignantes

De l’avis du SAJE, «l’organisation des actes décrits à l’article 26 alinéa 2 de la LAsi (enregistrement des données personnelles, audition sommaire, ndlr.) ne nécessite pas de limiter la liberté de mouvement des requérants par l’instauration d’un régime d’autorisations de sortie du centre d’hébergement: des mesures moins contraignantes, permettraient d’atteindre le même but avec la même efficacité. Par exemple la mise à disposition d’un bureau d’accueil et d’information.» Le prolongement des délais de séjour à soixante jours ainsi que les conditions de vie restrictives sont également contraires à l’article 5 du Conseil européen des droits de l’homme.

Délai de recours problématique

Dans son rapport publié en 2005 sur la Suisse, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe affirmait ne pas être certain que le droit de tout individu à une procédure équitable avec un recours effectif serait respecté dans les CERA, ce d’autant plus que les délais de recours fixés à cinq jours rendent encore plus problématique l’accès à un conseil juridique. Dans un précédent rapport publié en 2004, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe recommandait aux autorités suisses de prolonger le délai de recours contre les décisions de non-entrée en matière (NEM), afin de s’assurer que les conditions de recours contre de telles décisions respectent l’article 13 de la CEDH (droit à recours effectif).

Malheureusement, les fonctionnaires de l’Office fédérale des migrations (ODM) sont toujours investis du pouvoir décisionnel sur l’ensemble de la procédure des requérants d’asile dans les centres d’enregistrement, alors même que des problèmes de dysfonctionnement de ce système ont déjà été signalés. Dans une décision rendue le 18 mars 2005, la Commission de recours en matière d’asile a elle-même reconnu que le délai de cinq jours posait problème, et elle a accepté de rentrer en matière sur un recours déposé tardivement, signale le SAJE dans son rapport. Un précédent qui devrait interpeller les autorités sur la fragilité du système mis en place.

Manuel L. Hiol


Instruction au CERA: une logique absurde

C’est le cas d’un couple de Bosniaques qui se sont mariés après la guerre. Elle, y a vécu les pires horreurs, séquestrée trois jours dans une cave par des soldats, violée et torturée de la pire façon, témoin de l’exécution d’un bébé pendant que sa mère lui donnait le sein. Après la guerre, vivant dans un village frontière entre la Fédération et la République serbe, elle sera encore victime de diverses exactions dont une tentative de viol, puis expulsée de son logement et mise à la rue avec son mari et son enfant.

Au centre d’enregistrement (CERA), où elle arrive le 21 octobre 05, la requérante évoque ses traumatismes de façon poignante lors de ses deux auditions, et supplie qu’on la soigne:

«J’ai souvent mal à la tête, je m’arrache les cheveux, je me griffe. Quelques fois je suis tellement nerveuse que je ne supporte pas mon enfant. En Bosnie, je n’avais pas le droit de me faire soigner. Je n’avais pas de droit» (27.10.05).

«Je vous prie de me faire soigner car j’ai tellement mal à la tête tous les jours. J’ai envie de me reposer, d’oublier tous ces problèmes. Je vous en prie, si vous pouvez me faire soigner, si vous pouvez aider mon enfant. J’aimerais oublier le passé» (7.11.05).

Cette femme ne recevra aucun soin au CERA, où les consultations médicales ont été supprimées à l’été 2005, et où les requérants ne peuvent accéder directement à un médecin.

La requérante et son mari recevront par contre au CERA, vingt jours après leur arrivée, une décision de rejet de la demande d’asile, et de renvoi, datée du 10 novembre 05. En se fondant sur un rapport de 1997 (!), l’Office fédéral des migrations (ODM) affirme qu’ils peuvent retourner sans problème en Fédération et y recevoir une aide appropriée. Et la décision d’ajouter que les problèmes de santé évoqués ne comptent pas, dès lors «qu’aucun certificat médical n’est déposé à ce stade de la procédure».

Yves Brutsch