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Notre regard

Procédure | Requérants d’asile africains sans-papiers: A l’impossible nul n’est tenu!

Près de 80 % des requérants d’asile entrent en Suisse sans pièce d’identité ou avec des documents insuffisants. Les raisons sont multiples et l’absence de papiers ne signifie pas a priori qu’il y a abus. L’absence de document de voyage et de pièce d’identité est le propre des réfugiés politiques et des réfugiés de la guerre civile. Par ailleurs, certaines bandes de passeurs confisquent systématiquement les papiers authentiques. Il faut en outre tenir compte des conditions qui règnent dans les pays d’origine des requérants d’asile. Nous reproduisons ci-dessous un article d’Angela Benidir-Müller, ethnologue paru dans le journal de l’Organisations suisse d’aide aux réfugiés Planète Exil, du 28 janvier 2005.

L’absence de pièce d’identité est un phénomène très répandu dans de nombreux pays africains. Elle est due aussi bien aux conditions problématiques qui règnent dans les pays qu’aux restrictions concernant l’accès aux documents. Dans les pays qui ont été ou sont toujours en proie à une guerre civile, il est fréquent que les structures administratives, les registres et les actes soient détruits. L’exemple le plus connu est sans conteste la Somalie. Depuis que la guerre civile a éclaté en 1991, l’administration ne fonctionne plus et plus aucune autorité n’est en mesure de délivrer des documents officiels. Toutes les archives et tous les bureaux gouvernementaux ont été pillés ou détruits pendant la guerre.

En Angola également, la guerre civile de 1975 – 2004 a lourdement entravé les structures et processus administratifs. Des actes et des registres ont été anéantis pendant le conflit. L’UNITA, un mouvement de rebelles qui a plus ou moins longtemps contrôlé plusieurs parties du territoire angolais, a mis en place son propre système d’archivage. Mais les personnes qui aimeraient aujourd’hui se faire délivrer un document ont beaucoup de peine à obtenir satisfaction, même quand leurs données personnelles ont été conservées par l’UNITA.

Falsifications et corruption

Beaucoup d’États africains ne sont pas en mesure d’imposer une obligation générale de se faire établir une carte d’identité, ni de délivrer des papiers aux citoyens. Les falsifications et la corruption de fonctionnaires sont très répandues.

Au Cameroun par exemple, les actes de naissance, cartes d’identité, bulletins de mariage, mandats d’arrêt et confirmations de mise en liberté sont souvent falsifiés. Un vaste trafic, ouvert mais illégal, de toutes sortes de documents en blanc rend particulièrement difficile la vérification de l’authenticité d’un document «officiel» du Cameroun.

Les autorités ne donnent aucune directive quant à l’aspect des divers papiers. Même les documents officiels peuvent revêtir plusieurs formes et paraître falsifiés. Il arrive que les autorités locales utilisent des copies ou émettent un document à la machine à écrire quand elles n’ont plus d’exemplaire préimprimé. (…)

Documents confisqués

Dans la République démocratique du Congo (RDC), le marché noir de documents était florissant sous l’ère Mobutu. C’est pourquoi le ministre de l’Intérieur sous Laurent Désiré Kabila a déclaré nuls les passeports et cartes d’identité de l’époque Mobutu. Mais beaucoup de citoyens de la RDC possèdent toujours une carte d’identité émise sous le règne de l’ancien dictateur. Afin de les retirer de la circulation, les nouvelles autorités les confisquent lors des contrôles, mais ne se sont pas encore souciées de les remplacer. Une carte d’Impôt Minimum est délivrée en guise de carte d’identité. Elle atteste que le titulaire a payé le minimum d’impôts requis.

Privés de papiers

Dans nombre de pays africains, les personnes critiques à l’égard du gouvernement sont persécutées et limitées dans leur liberté de mouvement. Ainsi au Nigeria ou au Togo, ces gens se voient sans cesse retirer leur passeport. En Érythrée, les adeptes du groupement religieux des «témoins de Jéhovah» ont été privés de leur nationalité en mars 1995. Les autorités refusent de leur délivrer un passeport, une carte d’identité, un visa de sortie ou une licence commerciale. En Éthiopie, des personnes d’origine érythréenne n’ont plus droit au passeport éthiopien depuis l’éclatement de violents conflits en 1998. À cause des guerres, les populations de Côte d’Ivoire et de la République démocratique du Congo ont difficilement accès aux services publics et donc aux documents officiels. Et beaucoup d’habitants des États africains restent sans papiers, faute d’avoir les moyens financiers de s’en procurer.

Une pratique inadaptée

La pratique actuellement en vigueur en Suisse est telle qu’une demande émise par une personne sans papier entraîne, sauf dans des cas justifiés, une décision de non-entrée en matière. Les intéressés deviennent ainsi des «NEM» (pour non-entrée en matière) et perdent leur droit à l’aide sociale. Ce faisant, on prend à la légère le fait qu’une grande partie de la population mondiale, et notamment des habitants du continent africain, vit sans pièce d’identité, ni autres documents personnels. La proportion de sans-papiers est particulièrement importante dans les pays où des années de guerre civile ont paralysé l’administration publique et où nombre de personnes ont perdu leur pièce d’identité. D’où la nécessité d’abaisser les exigences liées à l’acquisition de preuves de l’identité, notamment chez les personnes persécutées, déplacées, démunies, ainsi que chez les enfants et les personnes fuyant des pays en guerre civile. Car on comprend aisément que ces gens n’aient pas de documents officiels.

Angela Benidir-Müller
ethnologue


Côte d’Ivoire: Opération identification

En Côte d’Ivoire, 25 à 30% des habitants ne possèdent pas de pièces d’identité. Pour pallier à cela, le gouvernement a mis sur pied début juin dans tout le pays des audiences foraines, pour permettre à ces derniers d’obtenir des certificats de nationalité. Nous reproduisons ici un extrait d’un article de Yacouba Sangaré paru dans Le Messager du 8 juin 2006. (réd.)

Cette action concerne les sans-papiers, ivoiriens, âgés d’au moins treize ans. Soit environ 3,5 millions de personnes – entre 25 et 30% de la population nationale – selon le ministère ivoirien de la Justice. Ces audiences permettent aux Ivoiriens non encore déclarés à l’État civil d’obtenir un jugement supplétif tenant lieu d’acte de naissance et un certificat de nationalité.

Debout face au tribunal présidé par un magistrat, le jeune Raphaël Konan s’explique:

«J’ai aujourd’hui dix-neuf ans. Je n’ai pas d’acte de naissance parce que mon père ne m’a pas reconnu et ma mère ne m’a pas déclaré.»

À ses côtés, son oncle et sa tante, ses témoins, confirment qu’il est bel et bien ivoirien, né à Port-Bouët, une commune d’Abidjan, la métropole économique de la Côte d’Ivoire. Après échanges avec le représentant du maire, le magistrat lui remet un jugement supplétif d’acte de naissance et un certificat de nationalité.

Des règles claires

Devant ces tribunaux, les règles sont claires et ne souffrent pas d’exception. En témoigne cet épisode. Une dame, la soixantaine, s’avance avec sa fille. Elles sont accompagnées d’une femme et d’un homme qui leur servent de témoins. «Madame Aissata Kéita, Maïmouna Kéïta est-elle votre fille?», demande le magistrat, assisté à l’occasion d’un assesseur et d’un médecin qui estime l’âge physiologique des requérants. «Oui, répond la présumée mère», qui montre un carnet de naissance. «Elle a quinze ans. Son père est décédé.» L’un des deux témoins confirme: «C’est moi-même qui l’avais accompagnée à l’hôpital quand elle allait accoucher.» Le juge insiste: «Vous êtes des parents de la famille?»

Légère hésitation puis les deux témoins répondent qu’ils sont plutôt des amis. «Désolé», tranche le magistrat en se tournant vers Mme Keïta. «On ne peut pas enregistrer votre fille. Revenez demain avec des parents». Pour être enregistré, le requérant doit impérativement être né dans la zone de la demande et accompagné de membres de sa famille.

Yacouba Sangaré

Le Messager, 8 juin 2006