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Notre regard

Observatoire | Visite d’un foyer pour demandeurs d’asile

Des requérants plutôt que des bisons

Engagé comme permanent de l’Observatoire du droit d’asile et des étrangers, Aldo Brina a profité de l’été pour sillonner les institutions liées à la thématique de l’asile et des étrangers dans le canton de Genève. Des visites, qui lui ont réservé quelques surprises, dit-il. Il nous livre ici un compte rendu relatif à sa découverte du foyer pour requérants d’asile «Les Tilleuls». Une présentation de la réalité évidemment plus personnelle que les «fiches descriptives» qu’il rédige pour l’Observatoire, et qui peuvent se consulter sur le site www.stop exclusion.ch/observatoire. (Réd.)

Il existe, quelque part sur le territoire du Canton de Genève, coincée entre l’autoroute A1 et la piste de l’aéroport de Cointrin, une minuscule parcelle de terrain. Selon mes sources, le vétérinaire cantonal aurait interdit au paysan voisin d’y faire paître son élevage de bisons: trop dangereux, à cause notamment de la pollution au kérosène. Du coup, on y a construit un foyer pour les requérants d’asile. Cette anecdote en dit long sur notre politique d’asile: les réfugiés ont-ils à nos yeux moins de valeur que du bétail? Pour reprendre les mots d’une collaboratrice à qui je racontais cette histoire: «C’est vrai que les requérants d’asile, au moins, on ne les bouffe pas…». L’humour noir, un moyen de légitime défense comme un autre contre les agressions d’une réalité trop rude.

Dès mon arrivée au centre d’hébergement pour demandeurs d’asile des Tilleuls, la proximité avec l’aéroport m’apparaît comme un symbole de la précarité d’un statut instable – celui de demandeur d’asile -, comme un rappel de l’imminence du renvoi. Pourtant, le personnel sur place m’affirme que les résidents n’y songent pas, et que la piste d’aéroport se fond rapidement dans le paysage comme un détail quelconque, la nuisance sonore en plus…

Logements préfabriqués

Le foyer se compose de trois bâtiments préfabriqués, ou du moins fabriqués à moindres coûts. Ces constructions vieillissent en général assez mal, mais là elles sont presque neuves, le centre ayant été inauguré en mai 2005. Elles peuvent accueillir près de 160 personnes, logées dans des pièces individuelles, partageant salles de bains, toilettes et cuisines avec deux autres personnes (de ce point de vue là, c’est plus confortable que ce que j’ai pu voir dans d’autres centres d’hébergement). Les gens y sont regroupés si possible par nationalité. Certains appartements, un peu plus grands, sont prévus pour héberger des familles. Pour ces dernières, les assistantes sociales s’efforcent de garder une pièce pouvant servir de salon. Les demandeurs d’asile disposent également d’une laverie, de quelques mètres de pelouse entre chaque bâtiment, d’un grill – pratique en été – et même, intégration oblige, de conteneurs pour le tri sélectif. Pas très loin de là, un arrêt de bus permet aux résidents de se rendre en ville (il faut compter environ vingt minutes et un changement pour se rendre à la gare de Cornavin).

Des célibataires et des familles

Quand je fais remarquer que les lieux sont assez sales – des objets traînent un peu partout dans l’herbe -, on me répond: «Oui, la personne chargée de ranger et de nettoyer vient de voir sa demande frappée d’une décision négative. Ça se sent tout de suite.»

Sur les 160 places disponibles, à peu près 130 sont occupées lors de ma visite. Il y a trois femmes seules avec des enfants, quelques familles, mais la plupart sont des célibataires, majoritairement originaires d’Afrique ou d’Irak. Environ un cinquième seulement de cette population travaille.

A côté des pistes de l’aéroport

Le gros point faible du site, c’est l’environnement. Qui a bien pu décider de construire un centre d’hébergement à cet endroit? Je l’ignore. En tous cas, ce n’était pas une brillante décision. Les avions qui vont se mettre en bout de piste pour décoller passent à une centaine de mètres des bâtiments. Toutes les deux minutes, les discussions sont interrompues à cause du bruit. Les bâtiments ont été insonorisés, mais tellement bien que l’humidité ne sort plus! «On est obligé de demander aux résidents d’ouvrir les fenêtres, sans quoi des champignons et de la moisissure apparaissent.»

Pour ce qui est de la pollution au kérosène, à part l’anecdote des bisons, je n’en sais pas plus. Mais à défaut de grands mammifères, j’apprends à ma grande surprise qu’un demandeur angolais vit dans le centre avec sa compagne suisse et leurs deux enfants, suisses également… Ce monsieur accepte de me conter son histoire, récit entrecoupé naturellement par le bruit des réacteurs.

Un cas particulier

Le couple a essayé de se marier il y a quelques années déjà, mais la mairie de la ville de Genève voulait avoir les papiers du divorce du futur époux, qui s’était déjà marié en Angola. N’ayant plus un seul proche là-bas, et ne pouvant pas y retourner faute de papiers d’identité, il ne lui était pas possible de se procurer de tels documents. La procédure de mariage est aujourd’hui toujours bloquée à ce stade. Pourtant, ils s’aiment et élèvent avec patience ou résignation leurs enfants dans l’ambiance multicolore des Tilleuls. Lui n’a pas de revenus (il est débouté), et sa compagne suisse est au chômage. L’Hospice général n’ayant apparemment pas encore fait suite à leur demande de logement en ville, ils ont été contraints d’habiter dans le centre d’hébergement des Tilleuls. Il y a donc des Suisses – et des enfants ! – qui habitent dans un foyer pour requérants d’asile!

Aldo Brina


Souscription réussie!

Après quelques mois d’expérimentation, l’Observatoire genevois, avait fait le pari de réunir au moins 70’000 francs pour pérenniser son activité autour d’un poste à temps partiel. Pari tenu, pour une grosse moitié grâce aux organisations membres de la Coordination contre l’exclusion, pour le reste grâce à des dons individuels. L’activité peut donc se poursuivre, avec l’ambition de s’étendre peu à peu à toute la Suisse romande. Au Tessin et en Suisse orientale, la mise sur pied d’observatoires régionaux est également en cours, de façon à ce que l’Observatoire suisse puisse s’appuyer sur des centres régionaux dans toutes les régions linguistiques.