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Notre regard

Témoignage | Contrôle policier: être Noir est-il un délit?

«Comment peut-on vivre dans un pays respectueux des droits de l’homme, les mêmes évènements que l’on vit dans un pays conduit par un régime sanguinaire?», «les lois suisses seraient-elles fondées sur la couleur de la peau ou encore sur l’origine?», «les contrôles policiers seraient-ils aveugles et uniquement pour les Noirs?», voici les questions que se pose un requérant d’asile africain après avoir été victime d’une interpellation policière en gare d’Olten. Nous avons trouvé intéressant de publier son récit, car il est rare de disposer de témoignage de ce type rédigé par l’intéressé lui-même. (Réd.)

Le 31 juillet 2007, j’ai quitté la maison vers 11h25 pour faire mes achats dans un magasin sri lankais situé sur l’autre rive du fleuve Aare dans la ville d’Olten. J’y vais faire habituellement mes courses. Je faisais le trajet à pied. Le chemin le plus court est celui qui passe par la gare, je l’ai par conséquent emprunté. Arrivé à l’entrée Est de la gare, j’ai pris l’escalier pour descendre et je me suis dirigé vers la sortie. À une cinquantaine de mètres à peine, j’ai vu deux hommes prendre ma direction en sens inverse. J’ai continué à avancer et au moment de les dépasser, l’un d’eux s’est arrêté devant moi et l’autre s’est mis de côté pour me coincer.

Contrôlé à la gare

Le premier faisait environ 1m 70; le second environ 1m 85. Le plus petit m’a dit: «Polizei, contrôle» et m’a montré son badge. Je leur ai donc tendu mon permis N. Celui qui était à mon côté commença par téléphoner, quand au second, il me demanda de lui donner le petit sac que je portais en bandoulière. Je le lui donnai. Il exigea ensuite mon natel. Je lui obéis. Constatant que ce dernier était verrouillé (mon portable se verrouille automatiquement), il me le tendit et m’ordonna de le déverrouiller. Ne comprenant plus rien, je lui ai demandé les raisons d’une telle manœuvre? Je jugeais mon portable personnel et à usage personnel.

Sans aucune explication

Sans me répondre, il s’est acharné à fouiller mon petit sac et mon porte-monnaie. Le premier était toujours au téléphone. Après qu’ils aient terminé la fouille des différents objets et sans logiquement avoir rien trouvé d’illicite, je leur ai demandé ce qu’ils me reprochaient au juste, car j’estime me comporter en citoyen togolais honnête depuis mon arrivée ici en Suisse.

En réponse à ma question, le plus grand des policiers m’intima l’ordre d’enlever mes mains des poches et de me tourner la face contre le mur. Surpris et ne comprenant toujours rien, je lui ai demandé: pourquoi faire? Sans rien dire, il a commencé par me bousculer et m’a fouillé de haut au bas. Alors qu’il n’avait rien trouvé, il a pris les menottes et me les a passées brutalement aux mains dans le dos.

Ni de réponse aux questions

Hors de moi-même et me sentant humilié devant une foule si grande qui me prenait peut-être pour «l’autre noir dealer, terroriste et voleur», je lui ai demandé: «Que veut dire tout ceci? Et pourquoi?» Le plus petit policier m’intima alors l’ordre de fermer ma bouche. «Pourquoi dois-je fermer ma bouche, quand vous m’humiliez pour rien?» ai-je immédiatement rétorqué? Le second qui m’avait mis les menottes, a commencé par me pousser violemment dans le dos en me disant d’avancer. Surpris, je lui ai demandé: «Où m’amenez-vous?» Au poste, répondirent-ils.

Une humiliation sans borne

Le policier continua de me pousser sauvagement sur une distance de presque huit mètres jusqu’à la voiture de police, comme un criminel ou un terroriste recherché de longue date. Et ce, malgré le fait que je le priais de me laisser marcher par moi-même. Mains au dos et menottes aux poignets, je subissais cette brutalité, de sorte que ces dernières m’ont serré davantage et causé des enflures aux poignets et des douleurs atroces. Le poignet gauche m’a fait mal toute la soirée. La scène se passait toujours devant des passants curieux. Jamais de la vie, je ne me suis senti aussi humilié, ridiculisé.

Embarqué au poste de police

Ils me firent monter dans la voiture. Arrivés sur le parking du poste de police, il y avait un groupe de policiers (dix environ). Mes deux tortionnaires sont descendus et ont commencé par discuter avec les autres. Celui qui était assis à côté de moi m’a ouvert la portière et a continué à me pousser, comme il le faisait dès le début. A l’entrée du poste de police, allaient et venaient aussi quelques-uns de leurs supérieurs, qui m’ont vu sans rien dire. Une fois rentrés, ils m’ont conduit dans une pièce située dans un sous-terrain. Nous avons été rejoints par un autre policier, membre du groupe qui était sur le parking. Il parlait français. Je tiens à rappeler que le policier qui m’a mis les menottes, nourrissait depuis la gare une folle et incompréhensible colère contre moi. Il était tellement furieux, qu’il a enlevé la chaise en plastique que son collègue, qui servait d’interprète, m’avait tendue pour que je puisse m’asseoir.

Une incompréhension totale

J’avais alors les menottes aux mains, quand celui qui parlait français me demanda ma version des faits. Dépassé et ne réalisant pas vraiment ce qui m’arrivait, je suis resté bouche bée. Pendant tout ce temps, mon sac, mon porte-monnaie et mon natel étaient à leur disposition. Comme je ne répondais pas, il m’a enlevé les menottes. C’est alors que j’ai retrouvé un peu la parole et que je lui ai relaté les faits.

Une fouille complète

À peine mon récit terminé, il me demanda d’enlever mon t-shirt, mon pantalon et mes chaussures. J’ai obtempéré malgré moi. Alors qu’il ne me restait que mon slip sur le corps, le même homme m’ordonna de l’enlever. J’ai refusé, car c’est un acte abominable passible d’exclusion dans ma culture Ewé. Il me menaça. Vu la manière barbare avec laquelle les policiers me traitaient, j’ai eu peur pour ma vie. Je me suis alors plié à leur exigence. Tous les deux avec leur torche, ont scruté mon anus. Pourquoi? Eux seuls peuvent le dire.

«C’est comme ça en Suisse»

Après leur forfaiture, ils m’ont demandé de remettre mes habits. Ils m’ont remis aussi tout ce qu’ils m’avaient pris. J’ai trouvé bizarre que ce soit après toute cette barbarie incompréhensible, que l’un des policiers m’a posé la question de savoir ce que je cherchais en ville. Je suis moi-même surpris de lui avoir répondu y être venu faire des achats. N’ai-je pas le droit de venir dans la ville d’Olten? Probablement satisfaits de leur acte salissant, ils me remirent le porte-monnaie, le sac, le natel et le permis, sans me faire signer aucun procès-verbal. A la fin, j’ai reposé la même question au policier qui parlait français: «Que me reprochez-vous au juste?» Voici sa réponse: «C’est comme ça en Suisse, c’est la Suisse».

Kossi Sessi Ganyo Kodzo