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Notre regard

Délit de solidarité | Poursuivis pour avoir sauvé des migrants. Héros ou passeurs?

Le mercredi 8 août 2007, trois navires tunisiens pratiquant la pêche se trouvaient à proximité de l’île italienne de Lampedusa, lorsqu’ils ont rencontré une embarcation gonflable en difficulté. A bord de celle-ci se trouvaient quarante-quatre migrants originaires du Maroc, d’Ethiopie, d’Erythrée et du Soudan. Parmi eux une personne dans un état de santé grave, onze femmes dont deux enceintes, ainsi que deux enfants dont un handicapé. Après les avoir sauvés, ces marins se sont retrouvés en prison. Une tentative de criminalisation de ceux qui aident les migrants, qui n’est pas sans prolongements en Suisse.

Ces naufragés à la dérive avaient quitté la Libye la dimanche 5 août, mais après quarante-huit heures, leur canot pneumatique a commencé à se dégonfler. Plusieurs bateaux de pêche ont refusé de leur porter secours, par crainte d’avoir des ennuis avec la police, ce qui est déjà tout un paradoxe. Il fut un temps où la non assistance à personne en danger était condamnable. Comme on va le voir, c’est aujourd’hui le contraire qui s’applique.

Sauvetage in extremis

Après avoir sauvé in extremis ces naufragés, les pêcheurs tunisiens se sont alors dirigés vers Lampedusa. Le droit maritime prévoit en effet que dans un tel cas, il s’agit de rejoindre les côtes les plus proches. Les autorités italiennes avaient été averties du sauvetage des naufragés et du besoin d’assistance médicale, mais les marins tunisiens ont dû braver les vedettes des gardes-côtes italiens qui ont tenté de leur faire rebrousser chemin plutôt que de les assister.

Une fois arrivé à Lampedusa, quatre naufragés dont l’état était particulièrement sérieux ont été transférés à l’hôpital de Palerme par hélicoptères-ambulances. Par contre, sept pêcheurs tunisiens ont été arrêtés et deux bateaux séquestrés. Ils ont été accusés de «favorisation préméditée et à fins lucratives de l’immigration clandestine», passible de quinze ans de prison.

Forte mobilisation

Lors d’une première audience le 1er septembre 2007, après avoir entendu les témoignages des naufragés et des gardes-côtes, le tribunal d’Agrigente a requalifié le chef d’accusation en «entrée irrégulière sur le territoire national», avec abandon de la circonstance aggravante du but lucratif. Il a ainsi reconnu indirectement que les pêcheurs n’étaient manifestement pas des passeurs. Pourtant, ce n’est que le 10 septembre 2007, après un mois de détention, que le tribunal a autorisé leur mise en liberté. Une décision fortement influencée par la mobilisation en faveur des accusés, provenant de milieux politiques et associatifs en Italie, dans l’Union Européenne et en Afrique.

Criminalisation de la solidarité

Le message des autorités devient de plus en plus clair pour tous les pêcheurs et capitaines de navires commerciaux de la Méditerranée: le sauvetage en mer de personnes en danger est un délit qui peut conduire à la prison, à l’immobilisation des bateaux et à des condamnations pénales. D’ailleurs, suite à ce procès, on a signalé dans la Méditerranée des cas répétés de navires qui, pour ne pas risquer la mise en prison de l’équipage, ont omis de secourir des bateaux chargés de migrants qui coulaient.

Des vies en jeu

Les associations de soutien ont dénoncé une escalade dans la «guerre aux migrants» et une criminalisation de la solidarité. Par la contrainte et l’intimidation, les Etats poussent à la non assistance à personnes en danger. C’est le dernier avatar d’une politique de fermeture des frontières et de renforcement des contrôles, qui pousse les migrants à choisir des itinéraires toujours plus dangereux et à dépendre toujours plus de filières mafieuses. Cette politique entraîne ainsi la mise en danger accrue de populations particulièrement vulnérables. Elle est la cause effective de la mort de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants.

Une loi problématique

Il serait erroné de penser que ces événements ne nous concernent pas en Suisse. Nous n’avons pas de mer, certes, mais depuis des années, des personnes sont poursuivies et condamnées, y compris en Suisse romande, pour avoir apporté leur soutien à des sans-papiers. Avec l’entrée en vigueur de la loi sur les étrangers le 1er janvier 2008, cette répression de la solidarité pourra s’intensifier: les motifs honorables ont disparu du texte de loi, et les nouvelles dispositions prévoient des peines plus lourdes. Le fait d’agir en association sera considéré comme un facteur aggravant, y compris en l’absence de tout but lucratif, permettant même la mise en place de mesures de surveillance préventives comme des écoutes téléphoniques. Cela est d’autant plus préoccupant que l’extension de l’aide d’urgence à tous les requérants d’asile déboutés va multiplier les cas de détresse, qui appelleront nécessairement à la solidarité de la population.

Appel au courage civique

Comment seront traités à l’avenir des mouvements de résistance du type de la Coordination Asile Vaud ? Les Etats généraux de la migration, qui ont eu lieu le 8 septembre dernier à Berne, ont discuté de ce problème et l’ont intégré dans la résolution finale. Face au caractère profondément inique des dispositions légales à venir, il apparaît de plus en plus indispensable d’appeler à la désobéissance collective et au courage civique, y compris auprès des personnes qui seront amenées à les appliquer. Mais il nous faudra aussi soutenir concrètement tous celles et ceux qui seront traités comme des délinquants pour avoir apporté leur soutien à des migrants. La criminalisation de la solidarité est une infamie que nous ne devons tolérer à aucun prix.

Christophe Tafelmacher