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Notre regard

Permis humanitaires | Critère d’indépendance financière: Que faire des personnes âgées?

La révision des lois sur l’asile et les étrangers a entraîné plusieurs modifications dans le traitement des «cas de rigueur». Les cantons peuvent désormais proposer une autorisation de séjour à toute personne qui leur a été attribuée (même si elle est déboutée de la procédure d’asile), et ils assumeront seuls, après sept ans, la charge des personnes admises provisoirement, dont il s’agit dès lors de favoriser le plus possible l’intégration. Reste que de nombreux cas de rigueur demeurent bien éloignés des critères habituels d’obtention d’un permis B humanitaire, sans qu’on puisse vraiment le leur reprocher. A Neuchâtel, une réflexion a été menée pour tenter de dénouer certaines situations.

Dans la pratique courante, toute proposition de permis B humanitaire repose sur l’indépendance financière de la personne et sa bonne intégration. Pour le dire autrement: le permis B doit se «mériter». Mais quelles perspectives s’ouvrent alors pour des personnes très vulnérables: personnes âgées, veuves de guerre très démunies, souvent analphabètes, personnes souffrant de problèmes médicaux persistants.

Le dénominateur commun entre ces personnes est l’absence d’emploi et l’évidence qu’elles n’accéderont jamais à une autonomie financière. Peut-on pour autant les laisser végéter jusqu’à la fin de leur vie dans un statut provisoire et précaire ? Leurs problèmes bien réels exigent des solutions, qui passent déjà par un autre regard sur les exigences d’intégration.

Un statut provisoire

A titre d’exemple, ce couple de Bosniaques, vivant en Suisse depuis plus de treize ans, au bénéfice d’un permis F. L’époux est né en 1937, l’épouse en 1939. Cette dernière est totalement analphabète. Elle n’a jamais pu apprendre le français, notamment en raison de son âge. Déjà à leur arrivée, il était illusoire que ces réfugiés puissent trouver une activité lucrative. Au cours des années, leur état de santé s’est encore fragilisé. Ce couple a deux fils qui vivent en Suisse avec un permis C.

Une vie dans l’incertitude

Cette veuve, également d’origine bosniaque, arrivée seule en Suisse en 1994 avec ses quatre enfants. Née à la campagne, n’ayant jamais été à l’école, elle a toujours travaillé aux champs. Analphabète, atteinte d’une importante perte auditive suite aux bombardements, elle rencontre évidemment d’énormes difficultés pour progresser en français. Présentant un état anxio-dépressif constant, elle souffre quotidiennement de maux de tête et de troubles du sommeil.

Elle garde alors toute son énergie pour assumer sa lourde tâche de mère de famille. Elle y parvient plutôt bien, tous ses enfants ayant suivi régulièrement leur scolarité et réalisé une formation professionnelle. Les trois aînés bénéficient d’un permis B. Elle seule, avec son fils cadet, demeurent dans un statut provisoire. Son état anxio-dépressif augmente.

A la recherche de solutions

A Neuchâtel, la Commission consultative en matière d’asile a voulu empoigner ce problème. Dans un premier temps, elle s’est efforcée de compléter ces dossiers, notamment avec des rapports médicaux supplémentaires, puis de les regrouper et de mener une réflexion générale pour déboucher sur des propositions dans le but de faire évoluer la pratique. Avec la nouvelle loi, après sept ans d’admission provisoire, les frais d’assistance incombent entièrement au canton. Y-a-t-il encore un avantage pour ce dernier, de maintenir une personne très longtemps au bénéfice d’un permis F d’admission provisoire ? L’amélioration de son statut peut au contraire lui apporter un sentiment de sécurité, un bien-être moral, qui a des chances d’avoir un effet positif sur son état de santé, et par voie de conséquence de limiter certains coûts médicaux.

Des réponses positives

Le Service des migrations du canton de Neuchâtel a lui-même repris dans cet esprit l’examen de ces dossiers. Il s’est donné le temps de les analyser sous différents angles d’appréciation de l’intégration, en renonçant au critère de l’autonomie financière là où celle-ci est objectivement hors d’atteinte, en évaluant les efforts de vie sociale au sens large, donnant beaucoup d’importance à l’intégration des enfants (jeunes et adultes), à la présence de parenté en Suisse, en approfondissant aussi les difficultés qu’auraient les personnes concernées à se réintégrer dans leur pays d’origine.

C’est ainsi que plusieurs propositions d’octroi de permis B ont été adressées à l’Office fédéral des migrations (ODM). D’autres sont en préparation. Des réponses positives sont déjà arrivées, notamment pour les deux cas mentionnés ci-dessus.

Une expérience à suivre

Espérons que l’expérience du canton de Neuchâtel contribuera à stimuler la réflexion dans d’autres cantons, à favoriser un esprit d’ouverture et à encourager des prises de position pour une amélioration systématique des conditions de séjour de toute personne dont le renvoi n’est pas envisageable.

Danielle Othenin-Girard