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Notre regard

Nouvelle LAsi | Passage a l’aide d’urgence pour les malades: Effets destructeurs garantis

Si l’aide d’urgence péjore la vie des requérants déboutés, les personnes vulnérables en subissent de plein fouet les effets dévastateurs, comme nous le montre l’article du Dr Pablo Sanchez-Mazas, médecin psychiatre-psychothérapeute à Appartenances (centre de formation, de prévention, de recherche et de consultations psychologiques pour personnes migrantes) à Genève. (réd.)

Il s’agit d’un patient d’une trentaine d’année d’origine de l’ex-Yougoslavie en suisse depuis deux ans et demi, suivi dans le cadre de la consultation psychiatrique de l’Association Appartenances depuis une année. Lorsqu’il nous est adressé, il présente un tableau typique d’état de stress post-traumatique consécutif à son vécu durant la guerre; il est extrêmement anxieux, transpirant de tension, effarouché, figé. Il ne s’exprime que laconiquement avec une voix sans teint. Sa pensée est complètement obnubilée et envahie par des reviviscences de scènes d’agression et de persécution. Il se plaint de douleurs multiples, troubles du sommeil et cauchemars récurrents. Il est déprimé et passe le plus clair de son temps à errer des heures durant au bord du lac seul, en retrait de toute vie sociale et en particulier de sa communauté.

Un encadrement rassurant

Dans le cadre de sa demande d’asile et en rapport à la vulnérabilité psychique qu’il présente, il bénéficie d’un soutien psychologique et psychopharmacologique ainsi que d’un aménagement de ses conditions d’habitation; une chambre individuelle lui est octroyée, seul lieu où il se sente véritablement à l’abri et en sécurité. Grâce aux sollicitations répétées du réseau constitué autour de lui, médecin, infirmière et assistant social, il gagne progressivement confiance et se mobilise: il suit désormais quelques heures de cours de français hebdomadaires et investi des activités de jardinage qui organisent ses journées. Il reste toujours farouche et en retrait parfois hors de la réalité mais il s’ouvre à un quotidien plus structuré. Ces activités et ces liens sont, dira-t-il, ses seuls repères de confiance pour se reconstruire.

Retour en arrière

Dans ce terrain psychologiquement vulnérable, le passage à l’aide d’urgence a totalement déstabilisé et pour ainsi dire réduit à néant les fragiles équilibres et structurations atteints jusqu’ici par ce patient. En quelques semaines, il est redevenu l’homme traqué, insécure, phobique et tourné sur lui-même qu’il était une année auparavant; il n’a de cesse de se figurer son arrestation imminente par la police. Il se cloître à l’affût dans sa chambre et se méfie de tous. Son irritabilité et son agressivité jusque là contenues, sont à nouveau à fleur de peau. Plus grave, des reviviscences de persécution et de violence ont refait apparition et il s’est armé d’un couteau pour se défendre. En l’état, l’évolution psychique du patient est fortement compromise et un traitement intensif a dû lui être proposé depuis plusieurs semaines. L’impossibilité de restructurer son cadre, l’inactivité et le contexte de vie, confiné au foyer où se concentrent par ailleurs progressivement une multitude de situations similaires, aggravent ses sentiments d’insécurité et d’exclusion. Ces conditions créent pour certains les conditions propices à l’émergence de crise psychosociale sévères et de violence.

Dr Pablo Sanchez-Mazas
Appartenances – Genève