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Notre regard

Aide d’urgence | L’exclusion de l’assurance maladie viole le droit: Des malades laissés à l’abandon

L’affaire a été rondement menée. Le 5 mars, une conférence de presse dénonçait l’exclusion de l’assurance maladie de la plupart des déboutés placés à l’aide d’urgence. Françoise Kopf nous présentait ce dossier dans notre dernier numéro. Moins de deux mois plus tard, le Directeur de l’Office fédéral de la santé publique le confirme: il y a problème: «Les faits que vous relatez dans votre courrier me surprennent et m’inquiètent… l’assurance-maladie (est, ndlr.) obligatoire pour toute personne domiciliée en Suisse… et je ne vois aucun motif qui justifierait une pratique dérogeant aux règles de la LAMal». Affaire réglée? Pas vraiment. Car tout montre que les cantons, qui devraient payer, vont trainer les pieds en piétinant le droit. Françoise Kopf nous montre ici les conséquences pour les personnes concernées dans le canton de Soleure. (réd).

En juillet 2005 (la pratique illégale d’exclusion de l’assistance existe depuis 2004 pour les personnes frappées de non-entrée en matière), un requérant à l’aide d’urgence se plaint de douleurs «derrière son œil en verre» et de «brûlures à l’autre œil». Il est myope et a cassé ses lunettes. Il s’adresse donc au service social cantonal et demande un rendez-vous chez l’oculiste. Le responsable l’envoie d’abord chez le généraliste Dr. B. Celui-ci se contente de lui donner un flacon de gouttes homéopathiques et le renvoie.

Deux semaines plus tard, Monsieur G. se plaint toujours de douleurs. Il a l’œil rouge et larmoyant. IGA-SO insiste auprès des autorités cantonales pour qu’il obtienne un rendez-vous chez un oculiste. Les autorités délèguent au médecin cantonal la compétence de décider si oui ou non, ce requérant à l’aide d’urgence peut consulter un spécialiste. C’est finalement non. Motif: «Monsieur G. refuse de donner le nom du médecin qui lui aurait placé la prothèse oculaire dans un centre hospitalier de Lucerne; d’ailleurs le docteur B. doute que la prothèse lui ait été mise en Suisse; je recommande donc de renoncer à tout traitement, tant que Monsieur G. n’aura pas donné le nom du médecin de Lucerne».

Nous sommes scandalisés: les requérants d’asile déboutés n’ont à Soleure jamais accès à leur dossier médical et Monsieur G, ne sait vraiment pas le nom de l’oculiste du centre hospitalier dans lequel on lui a implanté un œil en verre en 2003, avant qu’il ne soit exclu de l’aide sociale et de l’assurance.

Une aide médicale bénévole

Nous prenons alors l’initiative de l’envoyer chez une amie, spécialiste en médecine interne, qui accepte de faire une anamnèse à titre bénévole: il s’avère que la mère de Monsieur G. souffre d’une maladie héréditaire conduisant à la cécité. Le patient, déjà borgne et myope, craint de devenir aveugle. La doctoresse nous annonce que Monsieur G. doit impérativement être examiné par un spécialiste et l’envoie derechef chez un collègue oculiste, qui travaillera lui aussi sans honoraires. Le spécialiste retire la prothèse et constate que les cicatrices de la cavité oculaire sont irritées. Monsieur G subit un examen complet de la vue. Il a droit à une paire de lunettes (dont la monture est offerte par un opticien) et à un traitement médical anti-inflammatoire.

Voilà à quoi en sont réduits les requérants à l’aide d’urgence: trouver des médecins bénévoles parce que le canton n’assume pas ses obligations. Détail piquant, l’oculiste qui connaît bien l’Afrique (où il travaille deux mois par an) confirme que l’oeil de verre de Monsieur G a bel et bien été implanté en Suisse, comme il le disait!

En insistant beaucoup…

De 2004 à 2008 les problèmes d’accès aux soins sont restés les mêmes. Début mars 2008, nous attendons Madame I. à la permanence. Comme elle ne vient pas au rendez-vous fixé, nous lui téléphonons. Au bout du fil, un filet de voix à peine audible: elle est au fond du lit depuis une semaine, avec quarante de fièvre; elle a mal quand elle respire, des difficultés de déglutition; elle a bien téléphoné au médecin, mais celui-ci «est désolé mais ne peut plus la recevoir, car les frais d’un traitement ne sont plus couverts depuis qu’elle a été privée d’assurance maladie».

Vu l’état de santé de la malade nous avertissons (fermement) par téléphone le médecin que la patiente sera amenée sur le champ à son cabinet, et que s’il refuse de l’examiner, nous le dénoncerons à la Fédération des médecins suisses (FMH) pour non assistance à une personne en danger. La patiente a été examinée le jour même par le praticien, et mise sous antibiotiques, pour une angine et une bronchite sévères. Son état s’est rapidement amélioré et les autorités cantonales ont tout de même pris en charge tous les frais du traitement.

Pas d’urgence, pas de soins

Plus récemment Madame Z. souffre depuis la mi-avril de douleurs à une main. Informée par les autorités qu’elle n’a plus d’assurance-maladie et qu’elle ne sera soignée qu’en cas d’urgence. Madame Z. «attend que ça passe». Au fil des jours, les douleurs empirent, un doigt enfle et devient «tout rouge». Elle se décide donc à appeler le médecin chargé de soigner les requérants domiciliés dans la commune. L’assistante médicale lui explique poliment «que selon les directives cantonales, seuls les cas d’urgence peuvent être traités ce qui n’est probablement pas son cas, puisqu’il s’agit d’une main». De toute façon, Madame Z. «doit impérativement demander une autorisation de consulter au responsable cantonal du service social, sans feu vert des autorités cantonales, aucun traitement n’est possible». Après quelques essais infructueux Madame Z. finit par renoncer. Par chance nos interventions dénonçant l’exclusion de l’assurance commencent à avoir de l’effet. Notre demande de réaffilier Madame Z. à l’assurance-maladie vient d’aboutir, et la patiente a été prise en charge le jour même. Elle est actuellement soignée pour une infection qui partant d’un doigt, a fini par s’étendre à une partie de la main. Mais il aura fallu une multitude de démarches, pour guérir sa main.

Françoise Kopf
IGA SOS Racisme Soleure