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Notre regard

Vaud | Régularisation des déboutés vaudois

On lui avait prédit une déception cuisante. Par son obstination, le mouvement des déboutés vaudois a démenti tous les pronostics. En mars 2008, 13 personnes attendaient encore d’être fixées sur leur statut. Plusieurs réponses sont tombées cet été. Se faisant fort de ne pas entrer dans la logique des régularisations collectives, le gouvernement vaudois n’a en revanche pas échappé à la crise institutionnelle. Une crise qui porte un nom: le décret Melly. Le Parlement vaudois se refuse à classer cette motion tant que les derniers permis n’auront pas été délivrés. Tout un symbole (réd.)

Les autorités vaudoises ont su, dans ce fameux dossier des déboutés que nombreux croyaient achevé, céder au mouvement de soutien et délivrer des centaines de permis sans que l’on ne puisse parler de régularisation collective. Une stratégie consistant à accorder les précieux sésames au compte-goutte.

Encore cet été, des familles ont vécu l’incroyable soulagement de recevoir une décision positive, après des années d’attente.

Des permis par centaines

Ne boudons pas notre plaisir! Les chiffres, dont Vivre Ensemble avait déjà donné une première idée (voir Vivre Ensemble, n° 111), marquent les esprits. Ainsi, pour les Kosovars du mouvement «En 4 ans on prend racine», tout le monde a été régularisé (voir ci-dessous).

De même pour la quasi-totalité des «523». En mars 2008, selon un rapport du Conseil d’Etat, seules 13 personnes étaient encore en attente.

Quant aux Ethiopiens et Erythréens du groupe dit des «175», tous ont reçu soit une admission provisoire, soit un permis B. Le canton de Vaud a ainsi eu l’occasion d’étrenner massivement le nouvel article 14 Lasi, qui permet notamment la régularisation des déboutés.

A ces chiffres s’ajoutent les dizaines de permis accordés à des personnes qui ne faisaient pas partie du groupe des «523», mais qui avaient été prises en charge par la Coordination Asile Vaud. Parmi elles, des familles qui s’étaient réfugiées dans les églises pendant de nombreuses semaines en 2004 et 2005.

Ce résultat est d’autant plus remarquable que tant le canton de Vaud que l’Office fédéral des migrations (ODM) se sont échinés à répéter, toutes ces années, que la lutte des déboutés était vouée à l’échec et que leurs soutiens ne faisaient que leur vendre des illusions… Pour les «hors-523», il n’y avait, disait-on, absolument aucun espoir. La lutte a démenti ces tranchantes affirmations.

Un décret dérangeant

Il reste un dernier point à régler avant de pouvoir véritablement clore ce dossier: le classement du décret Melly. C’est là que l’affaire est particulièrement intéressante. Un peu d’histoire s’impose.

Dans le bras de fer qui a opposé le mouvement de soutien au gouvernement vaudois et à l’ODM, l’adoption par le Grand Conseil à la majorité de la motion du député radical Serge Melly avait apporté un appui bienvenu aux défenseurs des déboutés.

Le Conseil d’Etat avait en effet été forcé de préparer un décret prévoyant que le canton renonce à l’usage des mesures de contrainte, qu’il ne soumette pas les déboutés à des mesures discriminatoires (interdiction de travail) ou à d’autres formes de contraintes (convocations incessantes, prolongations sommaires des attestations…). Il devait, enfin, mettre sur pied une commission destinée à réexa-miner les cas en suspens.

Inquiétante désobéissance…

Ce décret Melly, adopté en première lecture par le Grand Conseil en janvier 2006, constituait pour l’ODM une forme de désobéissance cantonale extrêmement inquiétante. Vaud montrait la voie à une résistance à la politique d’asile fédérale en refusant d’exécuter sans mot dire les décisions émanant de Berne. Probablement conscient du danger, et désireux d’éviter un effet tache d’huile, l’ODM a rapidement ouvert des négociations avec le canton. Le résultat en est désormais connu: des centaines de régularisations!

Le gouvernement vaudois avait pu, de justesse, obtenir du Parlement frondeur qu’il suspende le processus d’adoption définitive du décret Melly en attendant le résultat des négociations. Les permis obtenus, il espérait convaincre les députés d’enterrer ce décret. Au printemps 2008, il a présenté un rapport en ce sens. Las! A l’unanimité, la commission du Grand Conseil a décidé d’attendre la résolution de tous les cas concernés pour mettre un terme à la motion.

Au delà des clivages partisans

Cette belle obstination est d’autant plus remarquable que le Parlement vaudois, comme ses commissions, est majoritairement à droite. Le débat ne renvoie donc pas à un clivage de parti, mais bien au malaise plus général que provoque la politique d’asile lorsqu’elle prétend expulser de Suisse des personnes qui y vivent depuis de nombreuses années.

Quoi qu’il en soit, du côté du mouvement de soutien aux déboutés, il restait une étape importante à franchir: marquer dignement et publiquement cette victoire de la résistance.

Même si, le dossier n’est pas entièrement clôt, il est essentiel de ne pas oublier combien la lutte a été longue – plus de huit ans pour les Kosovars d’«En 4 ans on prend racine» – mais nécessaire et payante. Les responsables politiques, relayés par les médias, ont en effet eu beau jeu de tirer la couverture à eux. Sans la pression du mouvement, des pétitions, des refuges et de la société civile, ces mêmes responsables se seraient bornés à exécuter froidement les décisions de renvoi.

C’est donc à la fois pour corriger cette image déformée et, surtout, pour fêter le succès d’une belle mobilisation que la Coordination Asile Vaud a organisé une grande fête, le 14 septembre 2008, en clôture de la Semaine d’action des migrant-e-s.

Christophe Tafelmacher

Enfin! Après huit ans de lutte militante, quatre mois de Refuge en l’Eglise de Bellevaux en 2001, le mouvement «En 4 ans on prend racine», qui a précédé celui des «523», a obtenu, en mai 2008, les deux derniers permis B revendiqué. Tous les Kosovars restés dans le canton ont donc obtenu un permis. Soit 344 personnes, dont 183 enfants. Il n’y a eu aucune expulsion. Une seule famille avait décidé, en juin 2004 déjà, de rentrer volontairement.

90% de ces personnes ont déjà obtenu le permis B, et nombreux sont les jeunes et les familles avec de jeunes enfants à avoir acquis la nationalité suisse. «C’est une grande satisfaction de constater qu’avec l’octroi du permis, les personnes concernées ont pu reprendre leur sort et leur vie en main», se réjouit Julia Ogay-Zosso, animatrice du mouvement dès ses débuts. «Elles ont su se débrouiller seules pour préparer et passer les examens de naturalisation.»