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Notre regard

Témoignages | Michael, Desmegen, Alex et les autres… Pourquoi désertent-ils?

Michael est arrivé en Suisse en janvier 2007. Il avait alors 16 ans. En juillet 2006, il a été enlevé dans la rue par trois militaires et emmené de force au sinistre camp militaire de Sawa, en compagnie de 70 à 80 autres adolescents. Le gouvernement qui a totalement militarisé le pays recrute ainsi quotidiennement des jeunes gens, des enfants et des adultes de moins de cinquante ans.

Arrivé dans ce camp, il a subi de nombreuses brimades et vexations, notamment en raison de l’origine éthiopienne de sa mère, elle-même rapatriée de force en Ethiopie. Il a été sévèrement maltraité, enfermé dans des containers de tôle, exposé à plusieurs reprises, les mains attachées derrière le dos durant des heures en plein soleil… Après un mois et demi passé à Sawa, une partie des « recrues » a été conduite à Tesseney pour y effectuer des travaux d’utilité publique. Là, la rupture soudaine d’une digue sème la panique au sein des troupes et de leurs gardiens, ce qui permet à quelques-uns dont Michael de tenter une évasion, réussie pour lui et deux autres jeunes qui s’enfuient à pied jusqu’à Kassala (frontière entre l’Erythrée et le Soudan).

L’arrivée de Temesgen se situe en mai 2007.Lui aussi a 16 ans. Les policiers ont encerclé son école, les élèves qui n’ont pas réussi à s’échapper sont embarqués de force dans un autobus qui les mène dans un premier temps dans une prison où ils passent une nuit, puis au camp de Sawa. Le lendemain, ils sont emmenés dans un « endroit désert », où ils doivent effectuer divers travaux (chercher du bois de feu, désherber, charger, décharger du matériel…) Lors du rassemblement du soir, profitant d’un moment d’inattention des gardiens, se trouvant proches d’une falaise, cinq recrues et lui s’enfuient et se dirigent à pied vers Kassala… Fuite réussie.

Alex, arrivé en Suisse en février 2007, il a alors à peine quinze ans. Enlevé dans la rue en juin 2006, il est lui aussi passé par le camp de Sawa. Il a eu beaucoup de chance de pouvoir s’en échapper assez rapidement et d’arriver jusqu’en Suisse pour y demander l’asile.

Michael a obtenu l’asile en avril 2008, Temesgen en février 
de cette année, et Alex attend une réponse de l’ODM.

Françoise Jacquemettaz

Un an et demi pour rejoindre l’Europe!

«J’ai quitté mon pays, l’Erythrée, à 19 ans. Ma famille a payé plusieurs milliers de dollars à des passeurs pour me faire sortir et m’éviter le service militaire. Avec une quarantaine de personnes, nous avons marché jusqu’à la frontière soudanaise. Là, nous sommes montés dans un camion et avons traversé le Soudan pour rejoindre la Libye. Nous étions entassés, il faisait très chaud, il fallait bien se tenir pour rester sur le véhicule. Certains sont tombés, le camion ne s’est pas arrêté. Arrivés en Libye, nous avons roulé encore plusieurs jours pour atteindre Tripoli, toujours dans les mêmes conditions.

Ensuite, nous avons attendu plusieurs semaines une embarcation pour traverser la Méditerranée. Une nuit, nous sommes montés sur un canot pneumatique équipé d’un moteur.

Nous pensions arriver en Sicile. Le moteur est tombé en panne. Les gardes-côtes nous ont arrêté et ramené à Tripoli. On nous a mis en prison. Quelques temps après, nous avons 
été transférés dans une autre prison, près de la frontière soudanaise, à Koufra. J’ai été libéré au bout de plusieurs semaines. Un passeur m’a ramené à Tripoli.

Nouvelle attente, nouvel essai pour traverser la mer. Cette fois, nous avons dérivé et échoué le long de la côte tunisienne. Les autorités de ce pays nous ont interpellé et ramené à la frontière libyenne.

Revenus à Tripoli, il nous fallait absolument trouver un bateau pour aller en Sicile. Retourner en Erythrée était impensable. Rester en Libye, impossible! Il fallait toujours se cacher, même les petits enfants nous lançaient des pierres et essayaient de nous racketter.

Nous nous sommes embarqués une troisième fois. Cette fois, nous avons réussi. Mais la traversée fut horrible! Nous étions trop nombreux, certains de mes compagnons se sont noyés.

Lorsque je suis arrivé en Sicile, j’avais 21 ans. J’avais quitté mon pays depuis plus d’un an et demi. On me demande parfois: 
«Si c’était à refaire, tu partirais à nouveau?» Alors je réponds:
 «Oui, sans hésiter, car je sais ce qui m’attend en Erythrée.

Témoignage recueilli par Nicole Andreetta