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Notre regard

Editorial | Vous avez dit décomplexé?

La voilà à visage découvert, la «droite décomplexée» en matière d’immigration, celle qui «dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas». Aux poubelles le «politiquement correct». Place aux durs, ceux qui expulsent et font du chiffre.

Début mai, l’Italie a arraisonné et escorté 500 boat people à leur port d’embarquement, la Libye. Une première symbolique: selon le HCR, 50 % des immigrants ayant déposé en 2008 une demande d’asile à leur arrivée en Italie a été considéré comme méritant une protection internationale.

Que Tripoli, qui n’a pas signé la Convention sur les réfugiés, ait annoncé son intention d’expulser ces «rapatriés» n’émeut guère les autorités italiennes. Celles-ci se félicitent au contraire d’un «tournant historique».

De fait, l’Italie joue dans la surenchère xénophobe et les élections européennes ont exacerbé le phénomène. Berlusconi revendique haut et fort la paternité de ces refoulements et du traité signé en août 2008 avec Kadhafi, qui promet «moins de clandestins et plus de gaz et de pétrole libyens». Son projet de loi anti-immigration voté mi-mai au Parlement dénote son intention de ne pas se laisser dépasser par la Ligue du nord. Il le justifie par un refus d’une Italie «multiethnique» et insinue que les rafiots arrivant à Lampedusa sont chargés de criminels.

Si le HCR a vivement réagi aux refoulements en Libye, l’Europe officielle est restée discrète. C’est que les Etats du nord ont laissé pourrir la situation en Grèce, à Malte et en Italie, qui subissent de plein fouet la pression migratoire.

L’attitude des uns et des autres révèle avec éclat les dysfonctionnements du système Dublin (p. 7). L’Italie rétorque au HCR de trier lui-même les migrants en Libye, et ce alors que l’organisation ne peut y travailler officiellement? Le commissaire européen Jacques Barrot enrobe le concept de termes diplomatiques: «Il faut bâtir avec les pays de la rive sud de la Méditerranée des points d’accueil qui permettront aux requérants d’asile authentiques de faire inscrire leur dossier dans des conditions convenables» (Tribune de Genève, 19.05.09) Bref, l’Europe s’apprête à exporter ses camps de rétention et d’expulsion dans les pays limitrophes.

En Suisse, on aurait tort de pavoiser. L’interdiction du droit au mariage des clandestins et recalé-e-s de l’asile ferait rougir d’envie Berlusconi (p.8). Et question surenchère xénophobe, on en connaît un rayon. Le dernier opus de l’UDC sur l’asile et les migrations –sur le mode «tous des criminels, tous des profiteurs» – vient le rappeler. Avec, en prime, une ex-UDC chargée de l’asile et des migrations qui veut prouver à ceux qui l’ont exclue qu’elle en est une vraie, de dure.

A force de rendre fréquentables les idées les plus nauséabondes, la «droite décomplexée» finit par corrompre les frontières éthiques de l’Etat de droit. A Milan, un élu municipal de la Ligue du Nord a récemment proposé de réserver des places de transports publics aux «Italiens de souche». Caricatural? Certainement. Mais à méditer.

Sophie Malka