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Notre regard

Réflexion | Les valeurs au-dessus du droit

Invité par l’association Elisa-asile, Jérôme Valluy* a donné ce printemps à Genève une conférence autour du grand retournement du droit d’asile, thèse d’un essai qu’il vient de publier. Partant de son expérience de juge à la Commission française des recours des réfugiés, Jérôme Valluy analyse l’évolution du droit d’asile depuis la Déclaration universelle des Droits de l’Homme (1948) et l’adoption de la Convention de Genève sur les Réfugiés (1951). Il montre comment le droit d’asile, notion perçue d’abord comme une valeur, s’est progressivement transformé en droit de l’asile, constitué par un ensemble de règles et de procédures. Compte rendu subjectif.

«Naguère, les réfugiés étaient perçus comme des victimes objets de compassion, aujourd’hui ils sont traités comme des coupables et enfermés dans des camps.»

Dans son ouvrage, Jérôme Valluy s’interroge sur la cause du retournement effectué en un demi-siècle. Est-ce une réponse à un envahissement migratoire? Une réaction aux crises économiques successives depuis 1980? Ou encore un effet fallacieux de la xénophobie populaire? Le chercheur rejette ces arguments.

D’une part, la plus grande majorité des migrants restent dans le premier pays limitrophe au leur. On constate d’autre part que l’ensemble du dispositif anti-migratoire était en place à la fin des années 60, précédant la résurgence des partis d’extrême-droite et bien avant le choc pétrolier de 1973. L’auteur fait valoir la thèse d’une transformation de nos cultures politiques par la mise en place d’une «xénophobie de gouvernement» stigmatisant l’étranger comme un problème et une menace.

Selon lui, un double mouvement a rendu possible cette situation: un renforcement des idées nationalistes et sécuritaires, qui trouverait son origine dans la période post-coloniale de l’Europe. Et simultanément, un affaiblissement des idéaux humanistes au sein des élites européennes.

De réfugié à requérant d’asile

L’histoire de la Suisse n’est pas exactement celle de la France. Néanmoins, les réflexions de Valluy nous interpellent en tant que personnes actives sur le terrain. Nous observons que, depuis plusieurs années, le terme de requérant d’asile s’est progressivement substitué à celui de réfugié. L’acceptation de réfugié s’applique en effet désormais à celui qui a obtenu l’asile au terme d’une procédure. Auparavant, cette distinction n’existait pas. La plupart des demandeurs obtenaient l’asile.

Selon le texte de la Convention de Genève, sont réfugiées «les personnes qui, dans leur Etat d’origine ou dans le pays de leur dernière résidence, sont exposées à de sérieux préjudices ou craignent à juste titre de l’être en raison de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social déterminé ou de leur opinion politique». C’est dans cet esprit que les réfugiés tchèques ont été accueillis en Suisse en 1968. Or, comme le souligne Valluy, on ne sait pas vraiment ce qu’est un réfugié. Comment appliquer cette définition? Comment considérer la crainte, la persécution? Chaque personne ressent ces menaces différemment.

Critères d’interprétation au rabais

Ainsi, à la question: «Est-ce un vrai réfugié?», les juges en substituent une autre: «M’a-t-il convaincu?» Au vu de cette incertitude, on n’a eu de cesse de réinterpréter les conditions qui permettent de recevoir l’asile. D’une valeur, le droit d’asile s’est transformé au fil des ans en une procédure juridique compliquée prétendant lutter contre les abus. Celui qui autrefois était considéré comme une victime est jaugé comme un suspect dont il faut se méfier. La xénophobie prenant le pas sur l’accueil, on en vient à imaginer une cohorte de faux réfugiés cherchant à envahir notre pays.

Parallèlement, alors que l’on peine à définir le terme de réfugié, de nouvelles catégories sont sans cesse créées: personnes au bénéfice d’une admission provisoire, permis N, personnes déboutées, personnes frappées d’une non-entrée en matière (NEM). A l’avalanche de durcissements, succède une avalanche de règlements difficiles à appliquer comprenant des notions souvent absurdes – parler d’aide d’urgence lorsque celle-ci se prolonge plus de 18 mois a-t-il un sens?

Saucissonnage administratif

Les associations de soutien aux exilés se retrouvent également entraînées à penser selon ce «saucissonnage» administratif. En regard à la situation d’une personne déboutée, celle d’une personne avec un permis N peut passer pour enviable ! Mais pour combien de temps? Tous les requérants, quel que soit leur statut, sont avant tout des êtres humains en situation précaire. Rappeler, comme le fait Valluy, que les valeurs précèdent les lois peut contribuer à penser le droit d’asile sous un angle différent, et peut-être casser la spirale infernale du rejet.

Sylvie Mundler

Nicole Andreetta

(1) J. Valluy, Rejet des exilés – Le  grand retournement du droit d’asile, Editions du Croquant, janvier 2009

* Jérôme Valluy co-anime le réseau scientifique de recherche sur les réfugiés TERRA et enseigne la science politique à l’Université Panthéon-Sorbonne. Entre 2001 et 2004, il a été juge à la Commission des recours des réfugiés.