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Notre regard

Rencontres | Amusart ou quand l’expression artistique impose le vivre ensemble

Depuis trois ans, chaque été, le Mouvement de Genève organise, dans le cadre des ateliers Amusart, une semaine d’activités musicales et artistiques, dont le point d’orgue est la création d’un spectacle. L’initiative a ceci d’original qu’elle met en présence et réunit des enfants issus de différents milieux sociaux et culturels, des artistes suisses et africains, mais également des bénévoles chomeur-e-s, retraité-e-s, mères au foyer et requérants d’asile. Une sorte de microcosme de la société dans laquelle les barrières sociales, culturelles, intergénérationnelles et même statutaires laissent place à un vivre ensemble dans lequel chacun trouve sa place et compose avec l’autre.

Ils étaient une trentaine d’enfants de 10 à 14 ans à prendre part dans un joyeux tintamarre aux ateliers de chant, mime, danse et percussions animés par les artistes Abaya , Jaqueline, Honoré, Guy et Henriette. Et presque autant de bénévoles à encadrer la confection de décors et de costumes indispensables à la création d’un spectacle. Emmenés par l’AGORA, Erdal, Selda, Meral et Yasemin, tous quatre requérants d’asile, étaient parmis ceux-ci. Erdal s’est notamment porté volontaire pour devenir le photographe officiel (voir illustrations). Yasemin, elle, a prêté ses compétences de couturière expérimentée. «Dans mon pays, j’ai enseigné la couture. J’ai été heureuse de pouvoir partager mes connaissances en aidant à la confection des costumes», explique-t-elle. Avant d’ajouter: «C’est la loi qui nous autorise à rester,mais pour trouver sa place en Suisse on a besoin de se sentir utile, d’apporter quelque chose». Créer et monter un spectacle tout en développant des valeurs permettant l’épanouissement, l’autonomie et l’intégration sociale de chacun est l’objectif de toute la démarche. Deux représentations de La fête de Moussa ont conclu la semaine. La première, offerte aux pensionnaires de plusieurs EMS du canton de Genève, a été suivie d’un goûter. Un moment privilégié, au cours duquel les participants et les personnes âgées ont pu échanger leurs impressions.

Textes et interviews: Nicole Andreetta

Témoignages

Jacqueline Ribaux, conteuse

Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de participer à ce spectacle?

La nouveauté et une certaine curiosité. Au départ, on m’avait demandé de choisir un conte permettant d’intégrer un groupe d’enfants et des artistes africains. Or, je ne suis pas africaine dans l’âme. Ma manière de conter relève de la culture européenne.

C’était difficile pour vous de travailler avec des musiciens africains?

Au début, ce n’était pas du tout évident. Je suis habituée à réciter seule, selon mon propre rythme. Pour ce spectacle, j’ai dû modifier mon rythme, faire des silences, adapter mes mots aux enfants et permettre aux musiciens d’être présents. Lors des premières répétitions, cela me semblait impossible, je n’entendais même pas les instruments. Puis Honoré, le percussionniste m’a dit: «Ecoute la musique, c’est comme des mots. Ecoute et tu conteras différemment.»

Que retirez-vous de cette expérience?

J’ai compris qu’il fallait mettre de côté mes idées sur le conte pour écouter l’Afrique. Au départ, je me suis sentie bousculée dans ce que j’étais. Mais c’est comme cela que l’on apprend. Et c’est la même chose dans la vie quotidienne. Si je veux écouter l’autre, je dois me taire. Mais ensuite, comme pour le spectacle je dois aussi défendre ma place pour exister.


Abaya Dialunda, metteur en scène et chorégraphe

Comment parvenez-vous à faire travailler ensemble tout ce monde?

Avec de la discipline. Pas la discipline comme à l’école ou à la maison, mais avec la discipline de vivre ensemble. Celle qui permet à la fois de s’exprimer et de respecter l’autre.

Vous arrivez à expliquer cela aux enfants?

Ils le comprennent d’eux-même dans les ateliers. Je leur ai demandé de préparer des chorégraphies par petits groupes. Un garçon est venu vers moi en se plaignant: «C’est pas possible, les autres changent tout le temps! Je ne peux rien faire». Alors je leur ai dit: «Si vous changez tout le temps c’est que vous ne respectez pas le travail des autres». Et finalement, ils ont réussi à faire une chorégraphie pour le spectacle.


Charlotte Reymond, pensionnaire au foyer Eynard Fatio

Comment avez-vous apprécié le spectacle?

C’est une belle réussite, les décors, les rythmes! J’ai eu l’impression de faire un beau voyage et de découvrir de nouvelles couleurs. J’ai aussi été ravie et émue d’échanger quelques mots avec le photographe, un jeune demandeur d’asile kurde. Je suis membre de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture depuis plusieurs années.


Jacques Buquet, inspecteur d’école retraité

Quel est votre rôle durant cette semaine? J’ai un rôle éducatif. Je veille au bon déroulement de la journée, particulièrement pendant les pauses. Je suis un peu le gendarme!

Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de participer à ce projet?

C’est l’idée de proposer à des enfants de différentes cultures et milieux sociaux de construire quelque chose ensemble. L’humanité va vers cette évolution. Une tâche facile car l’être humain n’est pas le même du Nord au Sud.

Que proposez-vous?

On devrait davantage enseigner les cultures dans le but de vivre ensemble et surtout remettre l’humanité au centre. Je suis très attaché au mot humain. Or, dans notre société, nous parlons surtout d’individus.

Avec les enfants, avez-vous pu faire passer le message?

Je ne sais pas s’il a été entendu, mais je vous donne un exemple: ils m’ont demandé de faire une bataille de bombes à eau. J’ai répondu que c’était hors de question. Vu la chaleur, je comprenais bien leur désir, mais je leur ai expliqué que l’eau est capitale pour vivre. Il faut la respecter, non la gaspiller. D’autant plus que certains d’entre eux viennent de pays où il en manque.