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Notre regard

Entretien | François Couchepin, ancien chancelier de la Confédération

En quittant son poste en 1999, l’ex-Chancelier fédéral revendiquait avec force la nécessaire discrétion d’une fonction au cœur du pouvoir et destinée à le servir. Or dès 2005, on voit le radical s’exposer sur un dossier où il n’était a priori pas attendu. Il initie, avec des amis, une lettre ouverte fustigeant les modifications de la loi sur l’asile et sur les étrangers discutées au Conseil national. Les 12’000 missives n’émeuvent pas les parlementaires? Il s’engage personnellement dans la campagne référendaire contre les deux lois en 2006.

Pourquoi cette thématique de l’asile et des étrangers?

Précisons qu’à mes yeux, discrétion ne veut pas dire inaction. J’ai toujours été actif, à titre personnel ou en qualité d’avocat, sur cette thématique. Si intervenir comme Chancelier m’était impossible, j’aidais comme je le pouvais une personne ou une famille, trouvant un avocat, discutant informellement avec des responsables politiques. Et dans le cadre de ma fonction, j’ai aussi pu exprimer mes convictions. Pour que la loi sur l’asile ne soit pas la seule porte d’entrée possible des migrants en Suisse et protège efficacement les personnes qui en ont besoin, j’ai souvent prôné auprès du Conseil fédéral l’adoption d’une loi sur les migrations. Mais je n’ai pas été écouté. A l’époque, le gouvernement me répondait que la politique des contingents -saisonniers- était suffisante.

Sortir de l’ombre avec le titre d’ex-Chancelier a-t-il été difficile? Quel facteur vous a incité à réagir publiquement?

Ce fut très facile. Vu le projet de révision adopté par le Conseil des Etats, rester sans réagir eût été impossible: ma responsabilité durant 20 ans a été d’assurer que le Conseil fédéral prenne des décisions conformes au droit. Or non seulement le contenu de la loi est contraire aux dispositions internationales qui lient la Suisse, mais sur le plan de la procédure, nous avons assisté à une violation flagrante de notre Etat de droit. Pour rappel, Christoph Blocher est intervenu au Conseil des Etats pour modifier substantiellement un projet qui avait déjà été discuté et voté au Conseil national, chose totalement illégale. Et il l’a fait sans en référer au Conseil fédéral. Celui-ci a avalisé ce fait accompli, sans oser le dédire ! En tant que Chancelier, j’aurais rédigé un rapport au Conseil fédéral dénonçant cette grave violation du droit. Evidemment, on m’aurait répondu que je suis avocat et romand, ce qui ne fait pas toujours très sérieux chez nos concitoyens alémaniques!

Le fait d’avoir eu une activité au sommet de l’Etat implique donc pour vous une responsabilité particulière à l’égard de certains dérapages de l’Etat de droit…

Tous les citoyens ont la même responsabilité face à ces dérapages. La difficulté est d’être cru. Durant la campagne référendaire, lorsque j’affirmais qu’on s’apprêtait à légaliser la possibilité de laisser des gens mourir de faim en Suisse, personne ne me croyait. Or qu’est-ce que vivre avec 4,50 francs par jour et par personne pour une famille avec deux enfants, même si l’hébergement est assuré?!

Quand j’affirmais que dorénavant, quiconque aidant les demandeurs d’asile déboutés serait passible d’un emprisonnement de cinq ans au plus, additionné d’une amende, on me jurait que la disposition ne serait pas appliquée. Mais ça va venir! La loi le prévoit. Et ne pas l’appliquer revient à la violer.

Vous êtes personnellement intervenu pour dénoncer des pratiques illégales touchant les demandeurs d’asile –exclusion de l’assurance-maladie et prélèvement sur le salaire des demandeurs (voir p. 16 et 20). Quels liens voyez-vous entre ces deux affaires?

Elles montrent à quel point c’est toujours aux plus malheureux qu’on fait subir les pires traitements, en toute illégalité! Exclure du droit à l’assurance-maladie des personnes qui sont réputées domiciliées en Suisse selon le Code civil est tout simplement contraire à l’obligation d’assurer. Idem pour l’affaire en Valais, qui heureusement vient de trouver un dénouement. Mais je ne peux me rallier à l’idée que la Suisse n’applique pas le droit.

D’où votre appel, dès les premières heures, à soutenir la création d’un Observatoire du droit d’asile et des étrangers. Vous présidez le comité de soutien de l’association suisse. Quelle doit être à votre avis la mission première de cet Observatoire?

L’ODAE doit fournir les munitions pour que les politiques, médias, ONG et décideurs dénoncent et agissent. Et ces munitions, ce sont les informations sur l’application des lois, aujourd’hui récoltées et publiées par les observatoires régionaux. Les gens doivent savoir ce qui se passe, trop souvent ils ignorent la réalité des pratiques helvétiques. D’où l’importance pour l’ODAE de percer également en Suisse alémanique.

Quels écueils le guette?

S’éloigner de cet objectif et faire ce que les autres organismes de défense du droit d’asile font déjà. L’ODAE en perdrait sa crédibilité et sa raison d’être.

De nouveaux durcissements du droit d’asile sont en discussion. Comment les combattre efficacement?

Dire qu’ils ne tiennent pas la route ne suffit pas. Nous avons besoin d’autres recettes, de forces pour diffuser les informations. Les nouvelles technologies ont fait gagner Obama, pourquoi ne pas y recourir?

Rêviez-vous d’une retraite paisible?

J’avais plutôt peur de m’ennuyer… Aujourd’hui j’essaie de réduire mes engagements, car j’ai aussi envie de lire, de me promener. Mais mon engagement pour l’ODAE, je m’en déferai en dernier.

Propos recueillis par Sophie Malka