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Notre regard

Editorial | Une mauvaise loi, on la change ou on la brave

«Nous savons que ce départ a été fait dans le respect des lois. Mais que dire de lois qui lancent sur les routes de l’Europe un mineur, seul, sans soutien?»

Tout est là, dans ce questionnement. Indigné par l’expulsion d’un élève mi-
novembre, le responsable des classes d’accueil vaudoises Etienne Corbaz a mis le doigt, dans un appel à réagir auprès des autorités cantonales et fédérales, sur la déviance criante de notre droit d’asile.

En l’occurrence, l’application froide, mécanique et restrictive des accords de Dublin. Son récit de l’arrestation, son appel à «s’opposer à l’injustice de ces lois» tranche crûment avec la réaction du Conseiller d’Etat Philippe Leuba. Celui-ci a vite fait de s’abriter derrière un «nous exécutons les ordres de Berne» pour ne pas être taxé d’inhumanité. Tandis que l’ODM communique laconiquement qu’un mineur ayant déposé une demande d’asile dans un pays membre de l’espace Dublin pourra y être transféré.

Bref, c’est la loi, personne n’est responsable. Mauvaise réponse ! Il y a toujours une marge de manœuvre, même ténue. Personne n’oblige le canton à surprendre à l’aube un individu pour le mettre dans l’avion. Ni de lui notifier son ordre d’expulsion au dernier moment.

L’ODM a bien recommandé ce procédé aux cantons. Mais point d’obligation légale. Dans les cas, plutôt rares, où un recours a été possible, l’autorité de recours a plus souvent qu’à son tour annulé la décision initiale, parce qu’elle violait le droit. Preuve qu’un canton qui agit de façon à empêcher ce recours commet un déni de justice. A l’échelon fédéral aussi, la marge de manœuvre existe. Berne peut parfaitement décider de ne pas procéder à un renvoi Dublin : le règlement ad hoc laisse chaque pays libre de faire une exception pour des motifs humanitaires ou autres. Mais elle a délibérément choisi d’appliquer ces accords dans leur acception la plus stricte.

Ironie de calendrier, c’est cette même application mécanique des renvois Dublin que l’Observatoire romand du droit d’asile met en évidence dans son rapport de synthèse pour 2009. Les cas sur lesquels il se fonde donnent à voir une réalité dont peu de personnes sont conscientes. La réalité d’une loi où l’arbitraire trouve une place de choix, les fonctionnaires étant investis du pouvoir d’apprécier la «vraisemblance» de récits d’hommes et de femmes pour décider de leur sort. La faillibilité du processus de vérification auprès des ambassades sur laquelle se base l’ODM pour rejeter des recours. La volonté qui transpire de partout de «faire du chiffre» sans se préoccuper des destins humains qui se jouent. Alors oui, la loi est toujours interprétable. La mobilisation vaudoise montre à quel point le quidam est saisi d’effroi lorsqu’il côtoie la réalité humaine d’une logique juridique dévoyée. L’appel d’Etienne Corbaz à s’opposer à l’injustice des lois et de leur application, nous y souscrivons pleinement.

Quant au «j’exécute les ordres», l’excuse est un peu courte. Dans une démocratie, changer la loi, c’est aussi une marge de manœuvre. Un homme politique comme Monsieur Leuba pourrait s’employer à en user, s’il avait une conception moins tendancieuse de la légalité.

Sophie Malka