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Notre regard

Décryptage | Au revoir Monsieur Merz!

Partira? Partira pas? Le Conseiller fédéral Merz est aujourd’hui soumis à rude pression pour remettre son mandat avant terme. Au-delà de ses bourdes, l’homme a su se rendre attachant par sa sensibilité. Mais que d’erreurs de jugement! Nostalgique de l’époque où anticommunisme suffisait à identifier les «vrais» réfugiés, incapable de comprendre les réalités d’aujourd’hui, Hans Rudolf Merz a contribué étroitement au démantèlement récent du droit d’asile. En se frottant à l’arbitraire du régime libyen, un pays où la Suisse a renvoyé ces derniers années plusieurs demandeurs d’asile aussitôt emprisonnés, Hans-Rudolf Merz aura peut-être appris, tardivement, que la naïveté ne suffit pas à fonder une politique.

On l’a oublié, mais c’est bien Hans-Rudolf Merz, alors Conseiller aux Etats, qui a enclenché la révision du droit d’asile acceptée par le peuple en 2006. Sa motion du 16 mars 2002 sur «l’amélioration de la procédure d’asile», adoptée quelques mois plus tard, moins de deux ans après la révision totale de 1999 demandait déjà l’essentiel des nouveaux durcissements dont Christoph Blocher sera le maitre d’œuvre.Sur ce plan, Merz était le digne représentant de ces politiciens qui n’ont cessé de dire, tout au long des années 90, qu’il n’y avait quasiment plus de vrais réfugiés et que ceux qui venaient aujourd’hui étaient surtout des abuseurs qu’il fallait renvoyer au plus vite.

Un nostalgique des deux blocs

C’est que Hans-Rudolf Merz était un nostalgique de l’âge d’or du droit d’asile. Cette période où la Suisse avait accueilli les «héros de la liberté» qui fuyaient les régimes communistes. Et il aimait plus que tout raconter la façon dont il était allé chercher un ami à Prague, pour le ramener en Suisse. Il l’avait fait abondamment au moment de son élection. Et son récit occupait encore les pages du Matin en date du 19 août 2009. Merz, un passeur? Oui, en quelque sorte. Mais pas pour un de ces africains d’aujourd’hui dont le récit est presque toujours jugé invraisemblable, malgré les massacres, les viols collectifs et les disparitions.

La litanie du «faux réfugié»

Non, Merz agissait pour «sauver» un ami d’études, un peintre désireux d’échapper au retour de l’armée rouge en Tchécoslovaquie. Un épisode dramatique pour la population, mais qui se passa néanmoins sans violences, sans tortures, sans emprisonnement massif. Et si plus de 10’000 Tchécoslovaques obtiendront l’asile en Suisse, force est de reconnaître qu’à l’aune du droit d’asile d’aujourd’hui, ils devraient quasiment tous être qualifiés de faux réfugiés! Sur cette réalité, Monsieur Merz ne voulut jamais ouvrir les yeux, voyant seulement des faux réfugiés dans les victimes des dictatures d’aujourd’hui. Comme Madame Kopp l’avait fait avant lui, elle aussi nostalgique d’un droit d’asile qui n’accueillait que les anticommunistes. Ne racontait-elle pas volontiers qu’elle était sur le quai de la gare de Zurich pour accueillir les réfugiés hongrois en 1956, tout en se livrant à la tête du Département fédéral de justice et police, à un véritable travail de démolition du droit des réfugiés? Le récit de Hans-Rudolf Merz, comme passeur, est d’autant plus frappant pour ceux qui défendent les réfugiés actuels qu’il est truffé de ces anecdotes aujourd’hui interprétées par les autorités comme des indices d’invraisemblance. Comme par hasard, un garde-frontière du même village que le fugitif a fermé les yeux au dernier moment. Et comme par hasard, Merz a pu obtenir un passe-droit à la frontière suisse en retrouvant un ancien condisciple de la Haute Ecole de Saint Gall.

Que vaut la parole des victimes

De tels «miracles» ne trouvent plus grâce aujourd’hui aux yeux des juges et des fonctionnaires, qui s’évertuent à trouver dans les propos des demandeurs d’asile les contradictions ou les incohérences qui leur permettent de refuser l’asile. Elle ne vaut plus grand-chose, aujourd’hui la parole de ces réfugiés, même si elle est ancrée dans une réalité bien présente. Eternel nostalgique, le Président de la Confédération s’est en revanche fié un peu naïvement à la parole des bédouins en allant négocier en Libye. Dure leçon. Pendant ce temps, l’Union européenne s’évertue à convaincre le colonel Kadhafi d’accueillir sur sol libyen des camps de premier accueil pour y faire le tri des demandes d’asile à l’abri des regards. La naïveté, ou le cynisme, n’a pas de bornes.

Yves Brutsch