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Notre regard

Le bourbier grec

Le transfert de demandeurs d’asile vers la  Grèce devrait être immédiatement suspendu selon le HCR et Amnesty International. Alors que la Suisse continue d’exécuter ces renvois – sauf pour les plus vulnérables – plusieurs rapports montrent que les personnes expulsées aux termes du Règlement de Dublin sont exposées à de multiples violations de leurs droits fondamentaux.

Le 18 avril dernier, un fait-divers tragique est venu, une fois de plus, mettre en lumière les conditions désastreuses qui attendent les demandeurs d’asile qui foulent le sol grec ou qui y sont ramenés de force en vertu des accords de Dublin. La famille de l’adolescent afghan de 15 ans tué dans l’attentat dirigé contre un bâtiment administratif du quartier de Patissia à Athènes, alors qu’il cherchait probablement de la nourriture dans les poubelles, tentait depuis de nombreux mois de demander l’asile, sans y parvenir. Devant la police des étrangers d’Athènes, des centaines de personnes font la queue tous les jours dans l’espoir de pouvoir soumettre leur demande d’asile. Les chanceux qui y parviennent doivent se contenter d’un papier qui leur donne le droit d’avoir un rendez-vous souvent fixé des mois plus tard. Dans l’intervalle, ces personnes ne reçoivent aucune aide de l’Etat grec.

Le représentant du HCR à Athènes, Kalliopi Stephanaki, est atterré: «des personnes qui peuvent avoir fui la guerre et les persécutions vivent dans des conditions de misère aiguës, obligées de dormir dans des parcs ou des maisons abandonnées et de chercher de la nourriture dans les poubelles».

Des conditions dénoncées par le rapport d’Amnesty International The Dublin II trap. Transfers of asylum-seekers to Greece publié en mars dernier. Le rapport met en évidence le fait que les autorités grecques ne proposent pas de procédure de d’asile équitable. Les défaillances du système rendent difficile le dépôt d’une demande d’asile, l’examen équitable d’une telle demande ou la possibilité de former un recours en cas de refus. Les demandeurs d’asile n’ont pas la possibilité de profiter de conseils juridiques adaptés, des services d’un interprète ni des informations nécessaires, et leurs conditions de détention peuvent être extrêmement précaires. Des éléments prouvent également que des expulsions forcées vers la Turquie ont lieu. En outre, l’hébergement déficient des demandeurs d’asile et l’accès insuffisant de ces personnes aux soins médicaux portent atteinte à leurs droits économiques et sociaux les plus élémentaires.

Procédure d’asile arbitraire

«Ce rapport montre que le système découlant du Règlement Dublin II se fonde sur l’hypothèse, erronée, que les normes de protection des réfugiés sont les mêmes dans tous les États membres de l’Union européenne» a déclaré Nicolas Beger, directeur du Bureau européen d’Amnesty International. «Les demandeurs d’asile dont le pays d’entrée dans l’UE est la Grèce risquent de subir des violations de leurs droits humains et leur sécurité peut être menacée. Seul un effort conjoint des États membres pour améliorer et homogénéiser les normes de protection au niveau européen permettra de résoudre ce problème; il faut que l’UE s’engage sérieusement dans un processus visant à atteindre cet objectif.»

Depuis avril 2008, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) dénonce les graves défaillances que présente la procédure de demande d’asile en usage dans ce pays. Selon Melissa Fleming , porte-parole du HCR, le procès- verbal d’audition «ne reflétait pas du tout le témoignage oral donné par le requérant.» Le compte-rendu contenait «un dialogue qui n’avait pas eu lieu»! Aucune décision ne se fondait sur les faits et ne présentait aucun argument de droit. Toutes contenaient la formule stéréotypée suivante: le demandeur a quitté son pays pour chercher du travail et de meilleures conditions de vie .

L’EUROPE FERME LES YEUX

Selon une étude d’Amnesty International, réalisée entre septembre 2008 et février 2010, la situation s’est encore détériorée, en particulier depuis que le droit à un recours a été supprimé du fait de la dissolution de la Commission des recours par une loi, qui est entrée en vigueur en juillet 2009. Malgré les éléments qui rendent compte de graves violations des droits humains, 995 personnes ayant demandé l’asile dans des États parties au Règlement de Dublin – parmi lesquels l’Autriche, la Belgique, le Danemark, la Finlande, la Norvège, les Pays-Bas et la Suisse – ont été renvoyées en Grèce au cours des 10 premiers mois de l’année 2009.

«Il apparaît clairement que la Grèce ne se conforme pas aux exigences de base en matière de protection des demandeurs d’asile, tout comme elle bafoue les autres droits fondamentaux de ceux-ci. Pourtant, les États parties au Règlement de Dublin continuent à fermer les yeux en envoyant dans ce pays des personnes parmi les plus vulnérables. Il est temps que la réalité de la situation en Grèce soit reconnue, que les normes internationales soient respectées et que les transferts vers ce pays soient suspendus», a conclu Nicolas Beger.

VIRGINIE MONNET

Les accords de Dublin prévoient que les demandeurs d’asile doivent en principe être renvoyés dans le premier pays où ils sont entrés au moment de leur arrivée dans l’UE. La plupart des États membres de l’UE, ainsi que l’Islande, la Norvège et la Suisse, sont signataires de ce Règlement.