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Notre regard

Le droit d’asile démembré

La Conseillère fédérale Evelyne Widmer-Schlumpf a soumis fin mai au Parlement une nouvelle proposition de révision de la Loi sur l’asile (LAsi), qui touche également la Loi sur les étrangers (LEtr). Elle poursuit ainsi dans le tripatouillage législatif incessant qui tient lieu de politique d’asile depuis plus de 20 ans, en cherchant à donner un tour de vis supplémentaire et en durcissant encore l’avant-projet sur certains points. Petit tour d’horizon critique sur les principales mesures proposées, à l’heure où la Commission des institutions politiques du Conseil des Etats examine le projet.

Non-reconnaissance de la qualité de réfugié aux déserteurs et autres objecteurs (art. 3 al.3 LAsi).

Le Conseil fédéral prétend limiter les demandes d’asile venant en particulier de déserteurs érythréens, tout en respectant la jurisprudence du Tribunal administratif fédéral (voir dossier Erythrée, pp. 19-21 et Vivre Ensemble, n°122, avril 2009). Le problème est que si la sanction qui attend les déserteurs dans leur pays d’origine est démesurément sévère, c’est bien pour des raisons politiques. Refuser l’asile serait alors une violation de la Convention de Genève sur le statut des réfugiés…

Conseils en matière de procédure et d’évaluation des chances (art. 17 al. 4 LAsi) et suppression de la représentation des oeuvres d’entraide (ROE) lors des auditions.

On veut supprimer la présence des ROE aux auditions sans vraiment en donner la raison, alors qu’il s’agit des seuls observateurs neu- tres dans la procédure. Quant aux «conseils en matière de procédure», cette prestation vise ouvertement à réduire le nombre des recours : elle ne donne à l’évidence pas les ga- ranties d’une véritable assistance juridique. Or, c’est de cela que les personnes cherchant asile ont le plus besoin.

Suppression de la possibilité de déposer une demande d’asile auprès d’une représentation suisse à l’étranger (art. 19 et 20 LAsi).

Vu le faible nombre de demandes auprès des ambassades, la mesure n’aura qu’un effet anecdotique. Sur le plan symbolique, il est contradictoire d’affirmer la volonté de lutter contre les filières de passeurs tout en supprimant une possibilité d’entrée légale en Suisse.

Suppression, en cas de possibilité de retour dans un état tiers, de l’exception visant à éviter la non entrée en matière (NEM) pour les personnes qui ont des pro- ches parents en Suisse ou qui ont manifestement la qualité de réfugié (art. 31a LAsi), et suppression de l’audition pour les renvois vers les pays tiers et cas considérés comme abusifs (art. 36 LAsi).

Ces mesures visent à simplifier et accélérer les procédures de NEM notamment dans les cas de renvois vers des pays de l’Union européenne (procédure « Dublin »). Ce durcissement empêcherait d’une part de favoriser les liens familiaux et de protéger les réfugiés dont le cas est manifeste. D’autre part, supprimer l’audition impliquera d’accorder la possibilité de prendre position par écrit, ce qui s’avèrera plus compliqué et pas nécessairement plus rapide. En réalité, on rendrait ces procédures de NEM de plus en plus formelles, au détriment des droits des personnes concernées.

Interdiction de l’exercice d’une activité lucrative en cas de demande multiple (art. 43 al. 2 et 82 al. 2 LAsi).

Cette disposition renforce l’interdiction de travail déjà existante. Elle ne fera que marginaliser encore plus de personnes, ce qui n’est pas au bénéfice de la collectivité. De plus, le prétendu effet dissuasif est illusoire.

Renversement du fardeau de la preuve pour les cas d’inexigibilité de l’exécution du renvoi (art. 83 al. 5 LEtr).

Particulièrement choquante, la mesure pourrait entraîner de fâcheuses conséquences. Aujourd’hui, la Suisse accorde plus d’admissions provisoires (permis F) que de statuts de réfugiés. Il s’agit des cas où l’exécution de la décision de renvoi n’est pas raisonnablement exigible, par exemple en cas de guerre, de guerre civile, de violence généralisée ou faute de soins médicaux dans le pays d’origine. Avec la mesure proposée, le Conseil fédéral pourrait désigner les Etats d’origine ou de provenance ou les régions de ces Etats dans lesquels le retour est raisonnablement exigible : on partirait alors d’une présomption de sécurité, qui devrait être infirmée par la personne concernée. Or, pour celle-ci, démontrer l’inexistence d’un réseau familial ou social dans le pays d’origine, ou l’absence de traitement médical, est difficile. Ce renversement du fardeau de la preuve fragiliserait grandement leur situation. Une telle mesure aurait donc pour conséquence inévitable de renvoyer dans leur pays des personnes dont la santé et la vie sont gravement menacées, mais sans qu’elles puissent le prouver formellement.

Réduction du délai de recours ordinaire de 30 jours à 15 jours (art. 108 al.1 et 2 LAsi) et du délai de recours contre un refus de réexamen de 30 à 5 jours (art. 108 al. 2 LAsi).

Préparer un recours nécessite le temps d’étudier attentivement un dossier et une histoire personnelle, de recueillir des informations sur le pays d’origine et de rechercher des nouvelles preuves. Les trente jours du délai de recours actuel ne sont déjà aujourd’hui pas toujours suffisants. Réduire ce délai de moitié empêcherait les personnes concernées d’exercer leur droit de recours correctement et donc d’accéder à un contrôle sérieux des décisions de l’ODM. Il n’y a pas de raison non plus d’être aussi sévère avec les procédures de réexamen, où le délai de recours ne serait plus que de 5 jours, soit totalement insuffisant, alors que ces procédures débouchent souvent sur des décisions positives, y compris après recours.

Introduction de sanctions pénales pour les personnes ayant déployé, en tant que requérantes d’asile, des activités politiques publiques uniquement dans l’intention de créer un motif subjectif après la fuite, ainsi que pour ceux qui leur aurait prêté assistance (art. 115 let. d et art. 116 let. c et d LAsi).

Cette proposition, qui ne figurait pas dans l’avant-projet, apparaît particulièrement délirante. On créerait un nouveau délit pour sanctionner les activités politiques de personnes à qui on reproche juste- ment de ne pas être des réfugiés politiques! La preuve de l’intention serait de plus très difficile à apporter pour l’Etat.

Christophe Tafelmacher