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Notre regard

« Nous n’avons pas le choix »

Fin juin, des tentes ont fleuri sur le parc de la Kleine Schanze, en plein centre de Berne. Quelque 150 personnes, dont une moitié de requérant-e-s d’asile débouté-e-s, ont occupé la place publique pour négocier une régularisation collective avec Evelyne Widmer-Schlumpf. Sa réponse,sans surprise,est tombée à la fin de l’été. L’action a-t-elle pour autant été vaine? Une militante du collectif Bleiberecht nous livre les raisons de cette mobilisation. (réd.)

Sortir de l’ombre: c’était le but affiché de l’occupation du parc de la Kleine Schanze par des sans-papiers et des sympathisants en juin dernier. Une action forte, susceptible d’attirer l’attention et de réveiller les consciences, était en effet perçue comme le seul moyen de sortir de l’impasse dans laquelle nous stagnons depuis quelques années.

Avec le durcissement des législations nationale et cantonales depuis 2006, des mouvements de lutte se sont constitués un peu partout en Suisse. Mais ils se heurtent trop souvent à un mur: les services cantonaux chargés de ces questions rejettent toute responsabilité, l’appréciation des cas de rigueur semble sortir d’un autre âge, si tant est que les dossiers soient transmis à l’ODM. Exemple à Zurich en 1998, après l’occupation de la Predigerkirche par des sans-papiers et des sympathisants zurichois. Le canton leur a demandé de quitter l’église en promettant de mettre sur pied une commission de recours chargée de réexaminer les dossiers des occupants. Le canton a tenu promesse, mais a rejeté pratiquement tous les dossiers: deux seulement sur environ nonante-cinq ont été transmis à Berne.

Bref: la politique dite migratoire s’insère à la perfection dans la Forteresse Europe. Tout cela dans une indifférence de la population que certains interprètent comme un acquiescement, d’autres comme une méconnaissance de la réalité, d’autres enfin comme une forme perverse de concurrence de classe.

Partant de ce constat, quelques collectifs de Suisse romande et alémanique ont décidé de jouer le tout pour le tout et d’occuper une place publique afin de regagner en visibilité. Il était important que cela se passe à Berne, puisque c’est de là que viennent les principales décisions en la matière. Il était tout aussi important que l’initiative vienne des personnes concernées (débouté-e-s et sans-papiers), pour une question évidente de légitimité. L’idée d’occuper un espace public, certes soutenue par des militants d’horizons divers, est venue initialement d’une poignée de personnes en situation irrégulière, traitées en criminels pour cette seule raison et exposées en permanence, quoi qu’elles fassent, à la prison et à l’expulsion.

Rompre l’isolement des débouté-e-s

Par la médiatisation de notre action, nous cherchions à entamer des négociations avec les autorités fédérales -ODM et DFJP– afin d’obtenir une régularisation collective de celles et ceux qui vivent et travaillent depuis de longues années en Suisse.

Il s’agissait également pour les différents collectifs concernés de resserrer les liens entre eux et, plus crucial encore, de rompre l’isolement des personnes déboutées, logéesparfois dans des camps-prisons à la périphérie des cantons.

Il a donc été décidé d’occuper la Kleine Schanze avec armes et bagages – et surtout ordinateurs pour le travail médiatique – dans le prolongement de la manifestation du 26 juin contre le racisme et l’exclusion. Une occupation étonnamment calme, qui ressemblait au premier jour à un camp de vacances sous le soleil de Berne. Point d’armée d’évacuation, épisode culminant de tous nos cauchemars. Point d’arrestations, de gaz lacrymogène, et étonnamment peu de curieux parmi les passants. Forts d’un concept de sécurité redoutable, basé sur des solidarités dont nous avions la nostalgie, aidés d’une porte-parole calme et efficace, au courant des subtilités de la politique locale, nous avons pu ouvrir le dialogue dans un climat serein.

La relative tolérance exprimée par la ville et la police envers notre action a été déterminante pour la participation à cette action. Car même si des sans-papiers courageux étaient présents dès la première heure, conscients qu’ils n’avaient plus grand-chose à perdre, ils étaient en minorité au début de l’occupation. Dès lors que la police s’était engagée à ne pas évacuer le camp ni à effectuer de contrôles d’identité, il fut plus facile de mobiliser dans les centres d’aide d’urgence afin d’élargir la participation et d’ouvrir le débat.

En outre, les membres des collectifs ne souhaitaient pas se battre « au nom de X », mais aux côtés des sans-papiers. Ainsi, toutes les décisions ont été adoptées en assemblée générale, en particulier celle d’écrire une lettre de revendications à la ministre de la justice. Pour la mise en œuvre concrète, des groupes de volontaires se constituaient au sortir de l’assemblée. Ce principe a encouragé un nombre croissant de sans-papiers à affirmer leur point de vue, à faire valoir leurs décisions, enfin à s’approprier le mouvement progressivement.

L’occupation, et après…?

Dans les discussions, la question de l’ «après» hantait les esprits. «Après», pour celles et ceux qui vivent sans papiers depuis de longues années, cela signifiait revenir à un quotidien sans perspective, aux centres d’accueil, aux six francs cinquante de survie quotidienne.

Mais comme l’a exprimé M.M., réfugié afghan, «la chance était sur la Kleine Schanze». Pour beaucoup, une fois surmontée la peur de s’exposer au grand jour, en plein centre de la capitale, le seul fait d’avoir lutté ensemble a éveillé de grands espoirs et l’envie de poursuivre. Car cette action s’inscrit dans le long terme. Si nous voulons changer la politique migratoire actuelle, nous n’avons pas le choix.

Natasha pour le collectif Bleiberecht Bern