Aller au contenu
Notre regard

Editorial | Savoir raison garder?

«Peut-être oublions-nous parfois trop rapidement que la sécurité du droit et l’interdiction de l’arbitraire ne sont pas acquis pour toujours et qu’ils doivent être protégés et défendus en permanence, même dans notre pays. La défense de ces acquis est une tâche dans laquelle je m’investirai avec joie». (1)

Etait-ce pour prendre au mot la 
Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga que le Tribunal administratif fédéral (TAF) a sévèrement tancé l’Office fédéral des migrations (ODM), dans un arrêt de principe sur un cas afghan rendu fin décembre? Le TAF y exigeait un changement de pratique, reprochant à l’ODM d’avoir, par son action, mis en cause l’Etat de droit, la sécurité du droit et le principe d’égalité. S’affranchissant des décisions du TAF, qu’il ne se sentait, à tort, pas tenu d’appliquer, l’ODM violait la loi. Résultat : des recours inutiles, des droits bafoués et des procédures à rallonges. On comprend pourquoi les juges ont tapé du poing sur la table.

Ils devaient en avoir gros sur la patate. L’initiative sur le renvoi des criminels étrangers venait de passer la rampe de la sanction populaire. Le principe d’automaticité, qu’elle consacre, visait entre autres à court-circuiter le travail d’une justice jugée laxiste et «excessivement clémente» (2).

Une justice qui se trouve, depuis des années, constamment attaquée par l’UDC et ses tenors, Christoph Blocher en tête. Ceux-ci n’ont eu de cesse de contester son pouvoir. Soit par des attaques publiques, notamment via certains organes de presse à leur botte. Soit en cherchant à contourner les garde-fous juridiques, en polluant le Parlement d’interventions jusqu’à ce que le terreau soit prêt à adopter de nouvelles lois. Prenons le débat sur les déserteurs érythréens: l’UDC n’a jamais avalé la position de principe de la Commission de recours en matière d’asile (ex-TAF) de 2006. A force d’interventions et de déclarations, le DFJP, suivi du Conseil fédéral, a fini par accoucher d’un projet de révision de la loi sur l’asile pour vider cet arrêt de son sens. Et ce n’est qu’un exemple.

La politique d’asile se fait par petits bouts, sans coordination, sans vision d’ensemble, relèvent les parlementaires fédéraux Anne-Catherine Menétrey et Luc Recordon, dans une analyse publiée dans cette première édition de 2011. Leur contribution constitue le troisième volet de notre série anniversaire. Ils décrivent de l’intérieur du Parlement «les tortueux parcours du processus législatif» en matière d’asile. Et surtout le morcellement, les alliances politiques, les fausses promesses, la fuite en avant vers toujours plus de durcissements des droits des requérants.

Dans ce contexte, on comprend que l’ODM ait pu se sentir les coudées franches à l’égard de la loi - mais ce n’est pas une première ! On comprend aussi que l’arrivée d’une socialiste à la tête du DFJP suscite, malgré tout, quelques espoirs de changement. Et il nous reste, à nous, société civile, associations, défenseurs des droits humains, à nous mobiliser. Afin que ses engagements ne restent pas lettre morte.

Sophie Malka


Notes:

(1) Savoir raison garder, Simonetta Sommaruga, devant le congrès du PS (disponible sur le site du DFJP).

(2) Jean-Claude Péclet, « L’UDC tire au canon sur les juges », Le Temps, 22 novembre 2010.