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Notre regard

Témoignage | Le rêve d’Europe, depuis l’autre bord de la méditerranée

Du 21 au 28 août 2010, Aldo Brina, coordinateur de l’Observatoire romand du droit d’asile et des étrangers, était invité par le Codap à intervenir lors d’une Université d’été sur les droits humains au Burkina Faso. Il nous livre ci-dessous quelques-unes des «leçons» qu’il a tirées de ses rencontres avec de jeunes défenseurs des droits humains africains. (réd.)

«Je crois que ce qu’il faut retenir de cette discussion, c’est le terme de «migration consciente» (un journaliste burkinabé, le dernier jour de la formation). Quand le Codap m’a demandé de présenter, dans le cadre d’une formation à Ouagadougou, la problématique des migrations en Europe, j’ai accepté sans hésiter. C’était l’occasion d’avoir un échange avec de jeunes Africains confrontés comme moi, mais depuis l’autre côté de la Méditerranée, à la dense actualité des phénomènes migratoires. Organisée par le Cifdha (une ONG africaine) et soutenue par le Codap, la formation regroupait une vingtaine de jeunes défenseurs des droits humains originaires de tous les pays francophones d’Afrique de l’Ouest. Pendant une semaine, ils y ont reçu divers enseignements sur la thématique des migrations, sur les outils permettant de promouvoir les droits humains, ainsi que sur le fonctionnement des instances onusiennes auprès desquelles ils seront appelés à diffuser leurs informations par rapport à leur propre pays. Les cours étaient dispensés principalement par des magistrats, des professeurs africains, et les collaborateurs du Codap. Mon rôle se limitait à présenter la situation en Europe et en Suisse. J’avais pris le parti d’aborder tous les sujets, sans tabou, comme je l’aurais fait avec de jeunes Suisses, sans trop savoir comment mon public africain allait réagir. Je me suis donc retrouvé à leur raconter l’histoire de l’Europe et de son émigration, les chiffres du HCR montrant que les pays du Sud supportent la majorité des réfugiés, l’érection de la forteresse Europe, les statistiques morbides des naufragés, Frontex, l’accord de Dublin, les lois Blocher, etc. Je suis allé jusqu’à montrer un passage du film Home sweet home, dans lequel témoignent un requérant d’asile débouté poussé au trafic de drogue et un exilé victime d’une violente bavure policière.

Paradoxes helvétiques

À la fin de mon exposé, la main d’une jeune ivoirienne se lève et la première question fuse: «Comment la Suisse peut-elle mettre en place une politique aussi contraire aux droits humains et, en même temps, financer des organisations comme les vôtres pour venir nous donner, à nous, des cours sur ces mêmes droits?» Même s’ils ne le disent pas, je sens que les participants sont blessés d’avoir vu leurs concitoyens dans des situations aussi misérables. S’ensuit une longue discussion, passionnante, qui se prolongera en fin de semaine au cours d’un café des droits de l’Homme, auquel participaient des personnalités et des journalistes ouagalais. Lors de ces échanges, j’ai été frappé par la prépondérance d’un discours de sensibilisation: les jeunes africains ont à cœur de prévenir leurs pairs des dangers d’un départ vers l’Europe. Un jeune malien, qui anime une émission radiophonique, me confiait: «Dans ma classe au lycée, la majorité de mes amis était obsédée par l’idée de partir vers l’Espagne. Trop d’entre-eux sont morts avant même d’y arriver, les autres y ont pour la plupart une vie misérable. Dès que je le peux, je diffuse sur les ondes un appel à rester au pays».

L’eldorado terni

Et la responsabilité vis-à-vis des drames liés aux migrations d’une Europe qui se barricade? Et les inégalités Nord-Sud, contexte économique et politique qui génère les flux migratoires? «On doit d’abord balayer devant notre porte» me répondait-t-on le plus souvent! Bien sûr, les participants n’étaient pas forcément représentatifs de la jeunesse africaine et de son rêve d’Europe… Universitaires issus de milieux sans doute relativement aisés ils auront peut-être même un jour, s’ils le souhaitent, l’occasion de voyager légalement en Europe. Au final, j’ai découvert une volonté très présente de rendre la migration plus consciente à la fois des dangers du voyage et des difficultés de la vie en Europe. J’en prends bonne note, même s’il ne revient selon moi pas aux Européens de faire ce travail de prévention, comme l’ont entrepris les autorités suisses en diffusant en Afrique des spots anti-émigration. Parce qu’on ne peut pas durcir sa loi et en même temps, dans un rôle presque humanitaire, avertir les candidats à l’émigration des misères qu’ils encourent du fait de ce durcissement que nous avons nous-mêmes voulu. Je reconnais ce besoin de vérité qu’ont les Africains sur ce qui les attend en Europe. Mais, de mon côté, en tant qu’Européen, je continuerai surtout à dénoncer le mur toujours plus haut qui sépare les deux continents, parce que notre responsabilité est engagée dans les entraves à la dignité humaine qu’il engendre.

Aldo Brina
Coordinateur de l’ODAE romand

Le Codap est un centre de ressources créé à Genève en 1986 pour soutenir et promouvoir l’engagement des jeunes en faveur des droits de l’Homme en Suisse et dans le monde entier. Chaque année, il organise un cours international, le Cours de Formation de Base à l’action en faveur des droits fondamentaux (CFB), à Genève. Des jeunes engagés dans la défense des droits humains viennent bénéficier de l’expertise réunie dans la cité de Calvin en matière de droits humains et renforcer leurs compétences.Depuis 1987, plus de 625 personnes ont suivi ce cours. Ce travail de fond est désormais reconnu tant par la société civile de nombreux pays que par plusieurs instances internationales. Il a permis de développer des projets inédits et de renforcer de nombreux processus portés par les jeunes, tels que le lancement d’une revue d’analyse des violations des droits fondamentaux en Algérie, la mise en place d’Universités d’été des droits humains à Ouagadougou pour l’Afrique de l’Ouest, ou encore la participation à la mise en place de nouveaux systèmes politiques plus démocratiques en Ukraine, Kirghizistan et Moldavie.

www.codap.org