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Notre regard

Jurisprudence | Le TAF rappelle à l’ordre l’ODM pour ses pratiques illégales

L’Office fédéral des migrations (ODM) met en cause l’Etat de droit, la sécurité du droit et le principe d’égalité. Ce jugement très sévère a été rendu par le Tribunal administratif fédéral (TAF) le 20 décembre 2010 dans un arrêt de principe. Examinant le recours d’un Afghan sous le coup d’une décision d’expulsion, le TAF s’est penché sur la pratique de l’ODM et s’est rendu compte que celui-ci, sensé exécuter la loi, n’en faisait qu’à sa tête.

La région d’Hazarajat, dont le recourant est originaire, fait partie d’une des rares parties du globe pour laquelle les experts du Tribunal ont décrété les renvois inexigibles, sous peine de mettre la vie et l’intégrité des refoulés en danger. Sous forme d’arrêt à 5 juges, ces décisions font jurisprudence. Elles ont force de loi. Et l’ODM doit s’y référer automatiquement au moment de prendre une décision d’expulsion.

Or, ce qu’a constaté le TAF en statuant sur ce recours, c’est que l’ODM se sent – ou se sentait – tout puissant. Questionné par le TAF, l’ODM déclarait ne pas être lié par les analyses-pays du tribunal, préférant recourir à ses propres expertises pour décider d’un renvoi. Interloqué par cette curieuse interprétation de la hiérarchie juridique, le TAF s’est alors demandé: combien de recours admis par le TAF sont-ils liés au fait que l’ODM n’a pas suivi sa jurisprudence en matière d’analyse-pays? Réponse: la moitié!

Un constat pour le moins inquiétant et le TAF n’a pas manqué de le rappeler: l’ODM met concrètement en danger la vie de toutes les personnes qui n’ont pu recourir contre la décision de renvoi. Vu les difficiles conditions d’accès à une procédure de recours, la chance ou –c’est selon- l’arbitraire deviennent des acteurs à part entière du processus. L’égalité face au droit et la notion de sécurité et de protection que le droit est sensé garantir à tous sont ici largement compromises.

Autre incidence : par sa pratique, l’ODM a engendré des coûts inutiles et a lourdement contribué à allonger les procédures, fustige le TAF. Dommage que les conséquences n’en aient pas été chiffrées: d’habitude, on en impute la faute aux requérants, pour opérer un tour de vis législatif. Du reste, cet arrêt porte sur une décision de l’ODM de 2006!

Un message à Mme Sommaruga

Les juges du TAF tiennent enfin à rappeler à quoi l’ODM est assujetti. Et que si celui-ci veut aller à l’encontre d’une décision du TAF, il doit le faire conformément à la loi, selon une procédure dite «pilote». Autrement dit, l’ODM viole la loi et doit changer sa pratique. Sous peine, menace le TAF, d’être dénoncé à l’autorité de surveillance.

Ce rappel à l’ordre est peut-être aussi un message adressé à Simonetta Sommaruga. La nouvelle patronne de du DFJP est en effet chargée par la Commission des institutions politiques du Conseil des Etats de rendre un rapport complémentaire au projet de révision de la loi sur l’asile sur, justement, la durée de la procédure (voir Vivre Ensemble, n°130). Elle qui, devant le congrès du PS, déclarait:

«Le DFJP est pour ainsi dire le garant de l’Etat de droit (…) Peut-être oublions-nous parfois trop rapidement que la sécurité du droit et l’interdiction de l’arbitraire ne sont pas acquis pour toujours (…).»

Sophie Malka