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Notre regard

Statistiques sur l’asile

Chaque année la sortie des statistiques sur l’asile de l’Office fédéral des migrations (ODM) est un événement politiquement consternant (1). 2011 suit la règle. Taux de refus, comparaisons internationales, applications de la convention de Dublin (2), méthode, peu de choses tiennent la route…

Au chapitre des comparaisons internationales, l’ODM nous indique que la Suisse est le 3ème pays d’accueil en proportion du nombre d’habitants comparé à 9 pays de l’Union Européenne (demandes d’asile/100’000 habitants).

Non seulement ce classement ne tient pas compte du fait qu’«en Allemagne, France et Grande-Bretagne, les femmes et les enfants sont comptés dans le même dossier et non à titre individuel», ainsi que précisé en petits caractères – la Suisse les dénombre individuellement. Mais en plus, «les demandes d’asile sur lesquelles il n’est pas entré en matière en application de [Dublin] sont comprises dans le total des demandes d’asile» (3).

Dublin et ses variations

Or la Suisse se débarrasse, via Dublin, de 5180 demandes d’asile en 2009 (30% du total de ses décisions selon l’ODM, mais 41% selon Eurostat!), héritant en contrepartie de 470 demandes de reprise (3% de ses décisions selon l’ODM, 4% selon Eurostat…).

Appliqués aux autres pays, ces taux de réussite des demandes Dublin émises et reçues en pourcent des décisions d’asile rendues - hypothèse qui sous-estime largement les avantages géographiques de la Suisse (4) - remettent totalement en cause le classement de l’ODM pour les pays classés après la Suisse. (5) La Belgique (état 2008), se débarrasse via Dublin de l’équivalent de 11 % de ses décisions d’asile; elle en hérite en retour 7%. L’Autriche 32% et 13%. La France 13% et 6%. Le Danemark 45% et 17%. L’Irlande 14% et 5%. Le Royaume-Uni 74% et 27%. Et enfin l’Allemagne 28 % et 12%.

Cela explique pourquoi l’ODM juge le bilan du régime de Dublin «positif, la collaboration avec les pays partenaires fonctionne bien»! Cela signifie surtout que le classement des demandes d’asile en comparaison internationale et, plus généralement, la statistique de l’asile, n’ont qu’une valeur idéologique et ne permettent pas de faire un état des lieux de l’asile en Suisse, ni d’établir aucun classement.

La Suisse, humanitaire?

Ajoutons que, concernant les transferts de demandes via Dublin, le Conseil fédéral se réjouit qu’une partie des cas dits «pendants» (non réglés au 31 décembre) a quitté le territoire suisse avant d’être transférée. Sous-titre: ils sont devenus des sans-papiers.

Les taux de refus des demandes d’asile (refus/décisions de 1ère instance), de 2000 à 2007, sont en moyenne 10% plus élevés en Suisse que dans l’UE. Le taux est inférieur à l’UE (de 12%) uniquement en 2008. Il est similaire en 2009. L’ODM occulte aussi cela statistiquement.

Fantasmes d’un afflux

Alors que depuis deux ans autorités et médias nous abreuvent de propos alarmistes sur un prétendu afflux de requérants –qui justifierait une révision de la loi!-, 2010 comptait 12% de demandes d’asile déposées en Suisse de moins qu’en 2000 et 57% de moins qu’en 1990… Cela aussi l’ODM ne le montre pas clairement dans ses statistiques.

Quant aux Nigérians (premier groupe de demandeurs d’asile en Suisse), les statistiques en matière d’asile 2010 ajoutent un vernis scientifique à la pratique de l’ODM, encouragées par les propos nauséeux de leur directeur (voir Vivre Ensemble, n°123, juin 2009). Elles expliquent que la crise économique ayant moins touché la Suisse que d’autres pays, cela a attiré les Nigérians … Ainsi, en 2010, sur 2243 décisions d’asile pour ce pays, il y a eu 2 octrois d’asile et une admission provisoire! Le négationnisme de l’ODM nous fait oublier que le Nigeria est 162ème sur 169 dans l’Indice du développement humain, qui tient compte des violences mortelles, du manque de libertés, de la scolarisation, de l’accès à l’eau potable, au logement, aux soins, des taux de mortalité et de misère (8). Pour l’ODM cela ne suffit pas à rendre crédibles les motifs de ceux et celles qui fuient cet enfer…

Encore une particularité des statistiques de l’ODM: elles sont basées sur le système d’information central sur la migration (SYMIC) (9), dont la méthode de calcul et la signification des chiffres sont sur le site de l’ODM sous mot de passe. Cela rend les statistiques très peu compréhensibles au quidam. Exemple : sous «Total des personnes dans le processus d’asile», la rubrique «Processus entrée en force» contient à la fois les procédures en recours au Tribunal administratif fédéral et celles encore sous délai de recours mais n’ayant pas donné lieu à un recours… Simple non? Les exemples de ce type sont innombrables. En outre en 2008 la méthode statistique a changé, rendant les séries rétroactives erronées, malgré un travail long, méticuleux, ponctué de téléphones avec l’ODM.

Dario Lopreno


Notes:

(1) Les statistiques en matière d’asile 2009 et 2010 sont publiées sur le site de l’ODM. Les comparaisons sont effectuées sur l’année 2009, les données 2010 n’étant pas disponibles pour un certain nombre de pays. http://www.bfm.admin.ch/content/bfm/fr/home/dokumentation/zahlen_und_fakten/asylstatistik.html

(2) Cf. Dublin et Eurodac sous http://www.bfm.admin.ch/bfm/fr/home/themen/schengen_dublin/dublin.html et Schengen/Dublin sur http://www.europa.admin.ch/themen/00500/00506/00510/index.html?lang=fr

(3) Interpellation 10.3547, Conseil national, 18/06/2010, réponse du Conseil fédéral.

(4) Chiffre basé sur des décisions prises en 1ère instance. Les statistiques suisses et de l’UE ne sont pas comparables pour les décisions recours compris (l’ODM amalgame les décisions issues des recours et celles simplement sous délai de recours).

(5) Eurostat, tableaux migr_dubin-Requêtes reçues – Données annuelles, last update 17/02/2011 et migr_dubout-Requêtes émises – Données annuelles, last update 17/02/2011.

(7) Cf. Eurostat, tableaux [tps00021], [tps00163] et [tps00164], UE 27 = valeurs moyennes pour les 27; Cf. ODM-SYMIC; Cf. UNHCR, Asylum levels and trends in industrialized countries 2009, Genève, 2010.

(8) PNUD, Rapport sur le développement humain 2010.

(9) Ordonnance sur le système d’information central sur la migration (ordonnance SYMIC), 12/04/2006.

Documents complémentaires: