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Notre regard

Quand la vie ne tient qu’à un fil

Il s’en est fallu de peu! Dans une course contre la montre, un demandeur d’asile syrien, menacé de renvoi vers la Grèce en application des accords de Dublin,  a réussi à faire venir en Suisse sa famille restée au pays. Sa chance: la Suisse permet encore de déposer une demande d’asile dans une ambassade – un projet de révision prévoit de supprimer cette possibilité. Et la Cour européenne des droits de l’homme a rendu un arrêt interdisant les renvois vers la Grèce. (réd.) 

Il est 10 heures trente en ce mercredi 9 février 2011. Arrive dans ma boîte aux lettres un courriel de la part de l’Office fédéral des migrations (ODM):

Monsieur,
Compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce, nous vous informons que nous allons, par décision de ce jour, autoriser en Suisse l’entrée à votre mandante et à ses enfants.

Je lis et relis, saisis mon téléphone, j’appelle le mari requérant d’asile en Suisse depuis le mois de juin 2010 et lui annonce la nouvelle. Une onde d’émotion traverse la ligne, me saisit, j’en ai la chair de poule et les yeux embués. Enfin, il va revoir sa femme et ses cinq enfants âgés de 1 an et demi à neuf ans.

Lui a fui en avril 2010 leur pays d’origine, la Syrie. Il est passé par la Turquie, puis la Grèce et par voie de terre a voyagé jusqu’en Suisse. En Grèce, on a relevé ses empreintes digitales. Elles ont été enregistrées dans le système Eurodac.
Fin septembre, l’ODM, en application des accords de Dublin, n’entre pas en matière (NEM) sur sa demande d’asile et veut le renvoyer en Grèce. Il vient alors au Centre social protestant (CSP) pour se faire conseiller. Il est préoccupé: depuis son départ, sa femme est également inquiétée par les services secrets syriens.

Face à cette situation, nous faisons d’une part recours contre la décision de renvoi en Grèce et d’autre part nous rassemblons les informations concernant son épouse et ses enfants. Leur situation devient de plus en plus inquiétante: face aux risques de persécution imminents, elle réussit à fuir in extremis avec ses 5 enfants en Jordanie.

Nous déposons une demande d’asile en son nom pour obtenir son entrée en Suisse. Ce n’est pas gagné d’avance, notamment du fait que le mari est censé retourner en Grèce. Certes, le Tribunal administratif fédéral (TAF) a rapidement annulé pour vice de forme la décision de l’ODM et a renvoyé la cause pour nouvelle décision. Mais ce n’est qu’une question de temps avant qu’une nouvelle décision de renvoi soit rendue.

Un compte à rebours

Entre-temps, la femme et ses cinq enfants ne se sentent plus en sécurité en Jordanie et fuient au Koweït à la mi-novembre. Leur visa de tourisme échoit le 12 février. Le destin de ces sept personnes est suspendu. Il faut attendre.

Puis les choses se précipitent: la femme est auditionnée par l’ambassade de Suisse au Koweït le 12 janvier. Le 21 janvier, la Cour européenne des droits de l’Homme (CourEDH) condamne les conditions d’accueil des requérants d’asile en Grèce ce qui est de bonne augure pour la demande du mari (lire p. 7). Les jours passent, et finalement la délivrance, ce courriel de l’ODM. Il reste trois jours pour organiser un vol du Koweït en Suisse. Chaque jour de dépassement de l’échéance du visa coûte plus de 200 francs d’amende. Grâce à la souplesse de notre organisation, nous arrivons à débloquer la somme nécessaire sous forme de prêt que le mari transfère immédiatement à son épouse. Le 13 février 2011, toute la famille est réunie en Suisse.

Fin des demandes aux ambassades?

Nous tenions à vous raconter cette histoire, car elle illustre l’importance que constitue la possibilité pour des personnes fuyant des persécutions de pouvoir déposer une demande d’asile depuis l’étranger. La Suisse demeure le seul pays européen où cela est possible.

Par ailleurs, il faut, une fois n’est pas coutume, saluer la célérité avec laquelle l’ODM a traité cette demande suite à la décision de la CEDH. Cet épisode restera un très bon moment dans mon travail de juriste au sein du secteur réfugiés du CSP – Genève. Il compense quelque peu les autres couleuvres que nous devons régulièrement avaler. Cela fait du bien et donne du courage pour continuer le travail pour la défense des valeurs humanitaires que la Suisse est censée porter.

Michael Pfeiffer, CSP-Genève

Note: ni la Jordanie, ni le Koweït ne sont signataires de la Convention relative au statut des réfugiés.