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Notre regard

Renvois Dublin | La Suisse a violé 150 fois les droits humains!

La Cour européenne des droits de l’homme a donc fini par condamner, de la façon la plus claire qui soit, les renvois sur la Grèce dus à l’application aveugle des accords de Dublin. La Grèce ne respecte en effet ni le droit d’asile, ni le droit à être traité humainement. Dans les deux cas, le Cour conclut que les renvois sur ce pays conduisent à des violations de l’article 3 CEDH, qui prohibent les traitements cruels, dégradants et inhumains, et qui font partie du noyau intangible du droit international. L’ODM a aussitôt fait savoir qu’il renonçait à ce type de renvois, ce que la presse a clairement répercuté le 27 janvier. Tout est-il pour le mieux?

Certainement pas. Car l’impression ainsi donnée, que l’ODM respecte le droit international et la jurisprudence rendue à Strasbourg, masque une réalité gravissime. En renvoyant ces dernières années 150 demandeurs d’asile sur la Grèce en application des accords de Dublin (chiffre officiel), l’ODM a en effet violé ouvertement, dans chaque cas, l’interdiction «absolue» des traitements inhumains.

L’arrêt de la Cour européenne ne fait en effet que constater une réalité qui était connue de tous les intéressés depuis fort longtemps. Il repose sur des rapports critiquant la situation en Grèce qui étaient invoqués depuis des années par de nombreux mandataires. Prudent, le TAF avait lui-même laissé en suspend tous les recours qui lui étaient parvenus, en invoquant ces mêmes rapports.

Le drame, dans cette affaire, c’est que les autorités nationales ont attendu la jurisprudence de Strasbourg pour renoncer effectivement à ces renvois, alors qu’elles savaient très bien qu’elles violaient une disposition majeure du droit international. Et comme tous les demandeurs d’asile concernés n’ont pas pu recourir, faute de mandataire qualifié ou en raison de délais de recours scandaleusement brefs, ils sont tout de même 150 à avoir été renvoyés vers l’enfer grec (Vivre Ensemble, n°128). Et il aurait suffit que chacun saisisse la Cour européenne, pour que la Suisse fasse l’objet de 150 condamnations.

Cette démission de l’ODM, qui n’a pas hésité à renvoyer en jouant sur les lenteurs de la juridiction internationale, alors qu’il était de son devoir de constater par lui-même le risque de traitement inhumain, démontre une fois de plus le mépris pour les droits fondamentaux de cet office fédéral, qui a pourtant vocation à protéger ceux qui s’adressent à lui. L’hypocrisie du TAF, qui s’est contenté de suspendre l’examen des cas qui faisaient l’objet de recours, plutôt que de conclure par lui-même, comme l’a fait la Cour de Strasbourg, est elle aussi consternante. Certes, le TAF est mis sous pression par les autorités politiques qui prônent le renvoi à tout va. Mais ce manque de courage discrédite du même coup cette juridiction dont c’était le rôle de «dire le droit» sans attendre que la jurisprudence vienne d’en haut.

Les 150 victimes suisses de cette violation des droits humains ne sont plus là pour se plaindre. Elles n’ont pas su se défendre, parce que le Suisse n’admet toujours pas la nécessité d’une assistance juridique d’office en matière d’asile. Un scandale, qui perpétue, année après année, de nouvelles violations des droits fondamentaux, car il n’y a pas que «Dublin» qui fasse problème. Et cela durera jusqu’à ce que le TAF ait le courage, là aussi, de faire jurisprudence, ou que le législateur adapte expressément le droit d’asile aux beaux principes qui sont inscrits dans notre Constitution fédérale. Ce qui signifie hélas que cela peut durer encore longtemps.

Yves Brutsch