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Notre regard

Admission provisoire | 20 ans, leur avenir se ferme

Le Centre suisse-immigrés à Sion est depuis plusieurs années approché par des jeunes que l’on peut qualifier de deuxième génération: ils sont nés ou arrivés en bas âge en Suisse, dans les années 1990, lorsque leurs parents ont été «admis provisoirement». Ils nous sollicitent car leur avenir se ferme soudainement dès la fin de la scolarité obligatoire. Leur statut reste lié à celui de leurs parents. Du coup, peu ou pas d’opportunité de trouver une place d’apprentissage, pas de bourses d’études, des emplois précaires…

Le permis F était attribué à des demandeurs d’asile sensés réintégrer leur pays d’origine après peu de temps, la situation de guerre civile ou de violence généralisée prévalant dans leur pays étant, pour l’ODM, d’une durée limitée alors que les pays concernés, le Kosovo, la Bosnie, la Somalie, l’Erythrée, le Sri-Lanka… vivent une instabilité constante depuis près de 20 ans. Selon les directives des autorités fédérales, il n’était pas nécessaire d’intégrer ces personnes pour éviter toute idée d’installation définitive dans notre pays.

Cette volonté de non intégration a pris fin en janvier 2007, date à laquelle il est enfin admis que les personnes appelées à séjourner en Suisse pour une période indéterminée doivent être mieux intégrées. A cet effet, les nouvelles dispositions de la loi sur l’asile prévoient, pour les personnes admises à titre provisoire, un allégement des conditions autorisant l’exercice d’une activité lucrative et la possibilité de faire venir la famille en Suisse après un délai de trois ans.
Faute de mesures d’intégration, le libellé « admission provisoire » du permis F a eu pour effet de limiter très sérieusement l’accès à un emploi permettant d’assumer l’entretien de leur famille. Ces personnes ont été marginalisées, pour certaines d’entre elles durant 17 ans, voire plus… Or aujourd’hui, pour parvenir à faire transformer son statut précaire de F en permis B, l’autonomie financière est une condition sine qua non.

Les deuxièmes générations de permis F doivent-elles payer le manque d’investissement décrété par nos autorités durant les années 1990 et 2000 en faveur de l’intégration de leurs parents?

Les conséquences qui se dessinent pour ces jeunes aujourd’hui, c’est de devoir sortir du circuit des études pour s’insérer sur le marché du travail afin d’assumer l’entretien de leurs proches ou des plus jeunes de la fratrie afin que les autorités cantonales entrent en matière pour l’octroi d’un permis B humanitaire (art. 14, al. 2 LAsi et 84 lit. 5 LEtr). Car poursuivre des études implique des moyens financiers tels qu’une bourse d’études, impossible à obtenir avec un permis F: seuls les détenteurs de permis C, permis B humanitaire et réfugiés statutaires peuvent en bénéficier en Valais. Et ce n’est pas le minimum vital octroyé à ces familles émargeant à l’asile qui permettra à ces jeunes d’envisager une formation après la scolarité obligatoire: le montant reçu par leur  famille représente la moitié du minimum vital d’aide sociale sur le plan fédéral  (960.- : 2 = 480.- / mois pour une personne seule, 2’054.- : 2 = 1’027.- / mois pour une famille de 4 personnes – chiffres CSIAS).

Seul un apprentissage peut être envisagé. Mais là encore les places se font rares dans la mesure où un formateur hésite à engager un jeune qui dispose d’une admission provisoire. Allez donc lui faire comprendre que le provisoire dure depuis 15, 16, 17… ans! Comment ces jeunes qui s’identifient à leurs camarades avec lesquels ils ont évolué depuis leur plus tendre enfance peuvent-ils admettre qu’ils n’ont pas les mêmes droits, les mêmes chances professionnelles et sociales à la fin de leur scolarité obligatoire.

Pas de naturatlisation possible

La naturalisation  offerte dans certains cantons permet à cette deuxième génération de « poser ses valises » une fois pour toute et de s’identifier aux valeurs du pays dans lequel ils ont grandi. Cette possibilité n’est pas envisageable en Valais, comme le souligne  le Service cantonal de la population et des migrations, dans sa réponse à un frère et une sœur dont les parents ont obtenu un permis F il y a 18 ans:

« …La naturalisation est basée sur la loi fédérale ainsi que sur une loi cantonale. En Valais, la demande de naturalisation est possible pour autant que la personne étrangère soit titulaire d’un permis B ou C. La limitation aux permis de séjours réguliers (B, C) n’est pas contraire à la loi fédérale. En effet, les cantons ont la liberté de prévoir une pratique plus restrictive que la Confédération. »

Le jeune homme est né en Suisse. Sa sœur avait 4 mois lorsque la famille est arrivée en Valais.

Quelle cohésion sociale peut-on exiger de ces jeunes au sein de notre société à laquelle pourtant ils appartiennent et dans laquelle ils sont parfaitement intégrés? Que souhaitons-nous créer comme nouvelle catégorie de jeunes? Qu’ils deviennent responsables de leurs parents? Qu’ils essuient l’échec de nos autorités qui ont raté l’intégration de leurs parents? Doivent-ils continuellement payer le prix fort pour se dessiner un avenir sous nos latitudes? Et nous, que pouvons-nous répondre à ces jeunes? Qu’ils quittent leur famille dès leur majorité et qu’ils deviennent indépendants financièrement à n’importe quel prix, notamment celui de leur avenir? Mais même là, le canton risque de refuser un permis B au motif que c’est le chef de famille qui a demandé l’asile et que c’est seulement lorsque ce dernier sera autonome financièrement que la famille dans son ensemble bénéficiera d’un permis B.

Fatxiya Ali Aden
Centre Suisses-Immigrés, Valais