Aller au contenu
Notre regard

Editorial | C’est la fonction qui fait l’homme (ou la femme)

Celles et ceux qui espéraient que Simonetta Sommaruga infléchisse la politique d’asile peuvent déchanter. Le dernier opus du Département fédéral de justice et police (DFJP), publié juste avant la clôture de ce numéro, est un concentré de l’idéologie qui anime la politique d’asile helvétique depuis 30 ans. Une idéologie, le terme est bien pesé. Car rien dans le «rapport sur des mesures d’accélération dans le domaine de l’asile» (p. 2), ne remet en question le moindre choix opéré aux plans législatifs et politiques par le passé. Et ses propositions n’ont rien d’inédit. (p. 11)

Le document était pourtant attendu. L’ensemble de la procédure devait être réévalué – donc critiqué. L’idée était d’en finir avec les retouches législatives incohérentes du passé. Simonetta Sommaruga, première socialiste à diriger le DFJP, portait l’espoir d’un changement de paradigme. Patatras. Pas l’once d’une autocritique. La «photographie» de la situation actuelle en matière de procédure est une ode à l’ODM… Et les mesures proposées vont renforcer des dérives avérées inefficaces telles que la détention administrative ou l’aide d’urgence.

Sans entrer ici dans les détails, les auteurs ont cherché à valider « l’hypothèse selon laquelle LE problème fondamental en matière d’asile tient à la durée excessive qui s’écoule en moyenne entre l’entrée sur le territoire d’une personne » et l’issue de sa procédure. Les inégalités Nord-Sud, les guerres, le commerce des armes, la xénophobie rampante? Relégués au second rang… Mais soit. Les délais de traitement des demandes par l’ODM et par le Tribunal administratif fédéral (TAF) sont trop longs. Les milieux de l’asile le disent depuis longtemps, qui voient des hommes et des femmes, dans l’angoisse d’une réponse, végéter des années dans un statut précaire.

Qu’en disent les experts? Que c’est la faute aux procédures et aux voies de droit qui permettent aux gens de se défendre et aux avocats de multiplier les recours. A aucun moment, le fait que ces recours aboutissent à une protection – octroi de l’asile ou admission provisoire - n’est appréhendé comme un signe que les refus initiaux de l’ODM étaient infondés. Aucune mention de l’arrêt de principe du TAF rendu en décembre 2010 qui dénonçait le fait que 50% des recours admis étaient dus à des pratiques illégales de l’ODM. Autrement dit: les recours étaient justifiés, et l’ODM avait contribué à prolonger les procédures (voir Vivre Ensemble, n°131).

Aucune trace, non plus, d’une dimension humaine dans ce rapport! Pourtant, les erreurs, les pratiques expéditives des autorités sont documentées par des associations de terrain, qui restituent, elles, les dégâts humains d’une politique exclusivement fondée sur le rejet. C’est bien le propre d’une idéologie que d’ effacer toute réalité qui pourrait la contredire.

Mme Sommaruga s’est parfaitement fondue dans ses habits de fonction. Celles et ceux qui se sont réjouis de son arrivée peuvent se préparer à un difficile combat. Son soutien au projet de révision de la loi lancé par sa prédécesseure, les mesures préconisées dans le rapport ou ses effets d’annonce reprenant largement les thèses de la droite extrême – restreindre le droit au regroupement familial notamment – sont de mauvaise augure. La résistance sera d’autant plus dure qu’elle devra se faire avec la défection d’une partie des socialistes et celle, plus inquiétante, de l’OSAR, qui a applaudi des deux mains à la publication du rapport.

Sophie Malka