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Notre regard

«Plutôt Huan-Huan» que Mamadou

Sur la piste de Roissy, dimanche, cent journalistes, un ministre français, la Garde républicaine et des escouades de policiers réservent à Huan-Huan et Yuan-Zi un accueil de stars. Ces fiancés – qui viennent de descendre de leur avion-cargo – ont droit à tous les égards dus à leur qualité de pandas géants délégués par le gouvernement chinois afin de complaire au président Sarkozy.

Sur la piste de Roissy, dimanche, cent journalistes, un ministre français, la Garde républicaine et des escouades de policiers réservent à Huan-Huan et Yuan-Zi un accueil de stars. Ces fiancés – qui viennent de descendre de leur avion-cargo – ont droit à tous les égards dus à leur qualité de pandas géants délégués par le gouvernement chinois afin de complaire au président Sarkozy.

Ces VIP (Very Important Pandas) logeront désormais dans leur résidence de luxe au zoo de Beauval, près des châteaux de la Loire. Un espace de 2,5 hectares est réservé à leur seul usage, planté de bambous, agrémenté de ruisseaux et de cascades. Afin que Huan-Huan et Yuan-Zi se sentent à l’aise, le propriétaire du zoo a fait aménager une installation pour créer du brouillard artificiel. Et les bâtiments érigés dans cette zone disposent d’une toiture en forme de pagode afin que les deux immigrés ne soient point trop dépaysés. Leur assurance-vie a coûté 110 000 euros au zoo de Beauval, qui a dû débourser près d’un million et demi d’euros à un organisme chinois pour recevoir ces deux «trésors nationaux chinois» en prêt durant dix ans.

Pendant ce temps, Mamadou et sa femme Aminata rament entre l’Afrique et l’Europe sur leur rafiot de fortune. Ou plutôt d’infortune. A la merci d’un coup de vent, d’un contrôle policier et de la rapacité des passeurs de clandestins. S’ils en réchappent et parviennent à Genève, Lausanne, Marseille ou Paris, le seul accueil ministériel qu’ils recevront sera assuré par les policiers de Guéant ou les gardes-frontière suisses. Et là, ce sera l’internement dans des cellules qui n’ont rien à voir avec le palace des pandas. Si Aminata et Mamadou réussissent à passer malgré tout entre les mailles du filet, ils grossiront les rangs des travailleurs au noir, entre la plonge des bistrots à la brouette des chantiers. Pour habiter, ils auront le choix: un coin de parking, les logements d’urgence qui sentent le vomi ou, s’ils ont de la chance, dix mètres carrés à partager dans un squat.

Ah, si Aminata et Mamadou, à la place d’être humains, clandestins et Maliens, étaient pandas, invités et Chinois, ils recevraient toute la sollicitude attendrie des Européens… Mais voilà, ils ne sont que pauvres et ne ressemblent pas à des peluches vivantes. Ils n’ont droit, au mieux, qu’à l’indifférence du passant et au pire, qu’au racisme de l’imbécile.

Le déchaînement de sensiblerie infantilisante qui a emporté les médias à l’occasion de l’arrivée en France de Huan-Huan et Yuan-Zi, montre à quel point les valeurs morales en Europe sont dégradées. Une société qui réserve le luxe à des pandas et l’opprobre à des humains fuyant la famine se montre aussi indigne que méprisable.

Par Jean-Noël Cuénod, Tribune de Genève, le 17.01.2012

http://journal.tdg.ch/huan-huan-mamadou-2012-01-17