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Notre regard

Loi sur l’asile | Durcissements sans entrave

En décembre dernier, le Conseil des Etats a donné son aval à la première phase de la révision de la Loi sur l’asile présentée par le Conseil fédéral (projet 1). Le texte est examiné ce printemps par la Commission des institutions politiques du Conseil national. Simultanément, les services de Mme Sommaruga, cheffe du DFJP, mijotent un second projet qui portera sur une réforme plus profonde et sera finalisé avant la fin de l’année. La configuration politique actuelle, avec une gauche éteinte et une blochérisation des esprits triomphante, laisse à craindre de sérieux durcissements.

Dans un contexte d’augmentation du nombre de demandes d’asile, les thèses de l’UDC sont en train de prendre de la vitesse. Le Parlement pourrait  malheureusement s’en inspirer, à l’instar du groupe parlementaire PDC qui a publié dix mesures radicalement opposées à l’humanisme dont il se revendique. Le projet 1 a donc le vent en poupe et sera modifié uniquement dans le sens du durcissement.

Lourd héritage UDC

En l’état, cette première phase pose déjà problème. Le fait qu’elle soit défendue par Mme Sommaruga, socialiste, ne signifie en rien qu’elle est imprégnée des valeurs de son parti. Au contraire, puisque cette révision est composée en partie d’arriérés de propositions lancées en leur temps par Christoph Blocher puis Eveline Widmer-Schlumpf: bricoler la loi pour ne plus donner l’asile aux déserteurs érythréens, supprimer la possibilité de demander l’asile via les ambassades suisses à l’étranger, criminaliser les requérants d’asile qui auraient des activités politiques en Suisse, etc.

À ces mesures s’en ajoutent d’autres qui amorcent la grande réforme du projet  2: l’introduction d’une phase préparatoire trop courte et sans dérogation possible, un examen médical à l’entrée pour limiter l’invocation de problèmes de santé par la suite, une aide juridique certes bienvenue mais limitée, et qui risque de faire passer la pilule amère d’un raccourcissement des délais de recours prévu dans le projet 2, etc.

Abstention coupable du PS

Ce projet 1 a pour l’instant recueilli l’approbation du Parlement. En décembre, le Conseil des Etats l’a avalisé. Le détail du vote montre un certain désintérêt de la part des élu-e-s : seuls 14 des 46 parlementaires ont approuvé la révision. Et les autres? 12 étaient absents, 16 se sont abstenus et 4 ont refusé la révision. Autre aspect piquant : sur les 16 abstentions, 11 étaient le fait des élu-e-s du PS. La fraction socialiste avait donné comme consigne de vote de s’abstenir… La raison? On la devine. En 2008 et 2009, face au même contenu, mais porté par Madame Widmer-Schlumpf, le PS montrait une opposition féroce, le président de fraction Andy Tschümperlin clamant que « ces propositions sont ratées et hautement préoccupantes par rapport à l’état de droit ».
Jouant les girouettes, il préfère aujourd’hui soutenir une Conseillère fédérale de son parti plutôt que de s’affirmer en faveur des requérants d’asile.

Durcissements à tout va!

Fin février, la révision arrive devant la Commission des institutions politiques du Conseil national. Les délibérations sont alors torpillées par 45 nouvelles demandes de modifications émanant de l’UDC, qui propose par exemple de supprimer l’octroi de permis pour les cas de rigueur ou de limiter à une durée maximale de 4 semaines l’aide d’urgence. Les chances de succès de ces propositions, si elles sont prises une à une, sont bonnes. Vu  leur profusion, le travail de la Commission a été ralenti. Seule la première partie de la révision a été traitée, ceci sans états d’âme: la Commission a accepté tous les principaux durcissements du projet 1 et a fait sienne une première des 45 propositions de l’UDC.

La fosse aux lions

Cette orientation n’est pas surprenante, tant la liste des membres de cette Commission ressemble à une lettre de menace adressée aux droits humains : l’ancien ministre de la justice Blocher, l’ancien directeur de la police grisonne Heinz Brand, les deux hard-liners du centre Philip Müller (PLR) et Gerhard Pfister (PDC). Même si les visions de la politique d’asile de ces quatre-là sont contestables, force est de reconnaître qu’ils ont des connaissances pratiques du domaine ou au moins, comme c’est le cas de Pfister, qu’ils le font croire avec un certain succès.

C’est cette équipe qui mène le bal au sein de la Commission, formant une dynamique dangereuse : un noyau dur de personnes informées et donc hautement nuisibles.

A l’autre bout du spectre politique, les deux Verts Balthasar Glättli et Ueli Leuenberger donnent quelque espoir,  tandis que le PS est représenté entre autres par… Andy Tschümperlin.

La Loi sur l’asile va encore se durcir au Parlement. Les partis bourgeois en seront les artisans, assistés, sauf surprise, par un Parti socialiste qui protègera sa Conseillère fédérale en s’abstenant de prendre position. À vue de nez, le vote final se tiendra à la session d’automne.

Aldo Brina et Moreno Casasola*

* Aldo Brina est chargé d’information au CSP-Genève, Moreno Casasola est secrétaire général de Solidarités sans frontières